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La Portée politique de la crucifixion de Jésus

Introduction

Dans nos sociétés en souffrance, le message d’espoir de la Croix tant au niveau de la dévotion personnelle que politique n’a jamais été autant d’actualité. Il y a encore dans l’Homme de belles valeurs que le Ressuscité et Sa Croix peuvent raviver. La célèbre Croix de Golgotha appelle toujours des conscrits vétérans et nouveaux à la cause du Roi et de nos cités temporelles. Cette étude propose une perspective historique, sociale et politique de la crucifixion et de l’appel de la Croix à répondre le bien commun.

Parler de la mort d’un personnage aussi illustre que Jésus de Nazareth n’est pas sans difficultés. Celles-ci sont nombreuses mais pas insurmontables. Dans un contexte de crises multiples – identitaire, social, économique, monétaire, politique, géopolitique, théologique, etc. – va se jouer un procès mémorable, celui d’une personne déroutante : Jésus. Quelles furent les conditions de son arrestation et pourquoi ? L’Eglise a su enseigner sur la face spirituelle de la mort de Jésus depuis des siècles. Sa mort en lien avec la pâque est également très largement connue, mais jusqu’où ?

Notre regard se portera sur d’autres enjeux de la mort de Jésus, le rabbi et prophète de la Galilée. Il s’agit dans cette étude de la dimension politique de Sa mort. Quels messages politiques véhiculent Son arrestation, le sanhédrin et l’interrogatoire qu’il mena et sa condamnation par Pilate. Dans cette étude, l’accent sera également mis sur la communication politique qui se dégage du titulus et de la Croix sur laquelle il a été fixé.

La Croix a toujours paru comme un symbole exclusivement religieux dans l’imagerie chrétienne d’abord, ensuite aux yeux des observateurs non-chrétiens. De Pilate à nos jours, la Croix de Jésus livre un double discours : mystique et politique qui échappe à l’entendement de plus d’une personne. Cette dynamique qui retient notre attention est l’actualité de la crucifixion dans notre aujourd’hui en crise absolue et globale.

I. Le sanhédrin : entre concurrence théologique et poursuite politique

Le sanhédrin

Il est impossible de parler de la mort de Jésus, le prophète de Nazareth, sans mentionner le rôle de l’autorité juive suprême : le sanhédrin. La prise de position du sanhédrin contre le prophète de la Galilée – région bien connue pour ses agitations zélotes – a influencé, à son corps défendant, le représentant romain Pilate, dans cette affaire qui lui semblait louche.

Le sanhédrin est, au regard de l’histoire israélite, d’une importance majeure. Cette institution à la fois théologique, judiciaire et politique (rassemblant les débris épars du patriotisme d’antan) est née de la première synagogue aussi appelée la grande synagogue, qui fut inventée dans la diaspora par le savant Esdras, d’après la tradition juive (A. Cohen, 2002:28). La grande synagogue – en hébreu, Kenéseth hagedola – est dans son essence, son développement et son expansion, portée par une triple dynamique : théologique, résistance culturelle et politique. Les synagogues du temps de Jésus perpétuèrent ce triple élan, comme en témoignent les Evangiles (Jean 9:13-15, 18-23).

La disparition de la grande synagogue ne mit pas fin à celles implantées dans diverses villes par les Juifs, dans les empires successifs grec et romain. La synagogue représente beaucoup pour les Juifs du premier siècle.

La disparition de la grande synagogue au IIIe siècle av. J.-C. donne naissance au sanhédrin, une organisation qui fera office de tribunal religieux et civil des Juifs de la Palestine d’alors. Une certaine tradition fait remonter le sanhédrin à Moïse. Cette institution est composée de 71 savants de la torah ou thora ou tora, avec à sa tête un nasi (prince/président). Ce dernier est secondé dans sa tâche par un ab beth din (père du tribunal), c’est-à-dire le vice-président. Le sanhédrin est l’équivalent du Sénat, ou tout au moins, le centre de concentration des pouvoirs et décisions (théologiques et sociopolitiques) des Israélites contemporains de Jésus. Cette institution porte la voix du peuple juif en dépit de ses divergences multiples et de ses contradictions.

Considérant l’historicité de la synagogue, des pouvoirs, de l’organisation et de l’expérience qu’elle légua au sanhédrin, Rome trouva bon de collaborer avec lui, afin d’assurer sa position, ses intérêts économiques et stratégiques en Palestine. Les difficultés de certains gouverneurs et troupes d’occupation avec cet appareil sociopolitique et religieux, était donc minimisées au regard des avantages de l’Empire. Le sanhédrin s’inscrit dans la politique globale de Rome, surtout en Palestine.

Les relations de cette institution avec le pouvoir impérial étaient craintes par ses représentants locaux, notamment Pilate, ce que rapporte l’Evangile selon Jean, 19:12 : « […] Si tu le relâches, tu n’es pas ami de César. » Le sanhédrin apparaît ici comme un organe local juif extrêmement utilisé par Rome, pour auditer ses fonctionnaires au Proche-Orient, particulièrement en Palestine. Le sanhédrin est donc l’évolution de la savante invention de l’érudit théologien Esdras, devenue indirectement un instrument de la géopolitique romaine.

Cette habile récupération du sanhédrin par Rome fait encore école de nos jours. En effet, les grandes puissances et certains Etats pétroliers sont passés maître dans l’art d’infiltrer, d’influencer et/ou contrôler d’autres pays, parfois même alliés. Le sanhédrin, quoiqu’étant une évolution de la synagogue, se distingue de cette dernière, car étant devenue un instrument de Rome.. C’est ce sanhédrin boudé par les pharisiens qui lui préféraient les synagogues, méprisé par les esséniens, puis dénoncé et combattu par les zélotes, qui la considéraient comme un organe traître et un valet de la machine impériale romaine, qui livra Jésus.

1.1. La concurrence théologique

Avec tous les pouvoirs reconnus au sanhédrin et ses affinités avec l’occupant, entrer en concurrence avec lui sur l’un de ses champs de compétences était très risqué. Les deux principaux partis qui le composaient – les pharisiens et les sadducéens – étaient opposés sur le plan théologique, à plusieurs égards. L’angéologie, la pneumatologie, l’eschatologie et le messianisme (christologie) des pharisiens, étaient plus proches de ce qu’enseignent Jésus et les premiers chrétiens à ces sujets. Les sadducéens ne croyaient ni aux anges, ni aux esprits (la démonologie) ni à la résurrection, contrairement aux pharisiens (Marc 12:18 ; Actes 23:5-9, etc.). L’herméneutique et l’exégèse des pharisiens bien que contaminées par les traditions humaines, étaient meilleures que celles des sadducéens qui étaient plus littérales et dogmatiques, c’est-à-dire figées dans le passé mosaïque. Le sanhédrin était divisé et fragilisé par les invectives théologiques. Alors que les pharisiens étaient au fait des manifestations charismatiques, leurs collègues sadducéens rejetaient cet aspect du ministère (de la chaire) de Moïse.

A l’époque de Jésus et de Ses disciples, la synagogue est de facto école, à la fois séculière et théologique, dirigée par les pharisiens, docteurs de la Loi. La tradition juive veut que ce soit l’étudiant qui choisisse son maître, par conséquent l’école/l’académie (rabbinique) qu’il veut fréquenter. Le prophète-docteur de Nazareth casse cette norme du système éducatif dans l’enseignement supérieur de Son temps. Cela est rapporté au chapitre 15, verset 16, de l’Evangile de Jean : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi ; mais moi, je vous ai choisis, et je vous ai établis… »

En plus, le Maître de Nazareth promeut la formation supérieure de la femme, chose contraire aux pratiques illégales des écoles et académies des pharisiens. Luc ne manque pas de le souligner et d’ajouter une autre nouveauté de l’académie de Jésus de Nazareth. Celui-ci faisait asseoir dans la même classe (lieu), et vraisemblablement sur le même mobilier de cours hommes et femmes (Luc 8:1-3 ; 24:33, 36-39, 45-50 ; Actes 1:4-15 ; 2:1-4). Cette pratique de l’école de Jésus était une attaque à la fois théologique et sociétale ; bien plus, c’était la déconstruction d’un modèle social handicapant et une subversion politique d’ampleur. Le sanhédrin, dont les pharisiens en particulier, comprirent qu’une telle nouveauté, bien que théologique (éducationnel) aboutirait à la remise en cause de leur système parfois infamant pour la gent féminine.

Parmi les pharisiens « on rencontrait des individus qui refusaient de sauver une femme qui se noyait pour ne pas entrer en contact avec une personne d’un autre sexe… » (Edersheim, 2019:266-267). La vie se dit et se pratique à tous les niveaux et dans toutes les institutions israélites sur fond théologique. Les pharisiens et d’autres théologiens juifs avaient des points d’accord avec Jésus. De toutes leurs divergences doctrinales, trois seront brandis contre le docteur et prophète de Nazareth, d’après Claude Gruber-Magitot (1964:31, 35, 37) :

« Les pharisiens ne désapprouvent pas systématiquement Jésus. […] D’autre part les pharisiens jeûnaient souvent à des fins expiatoires, pour se préparer à la venue du Royaume de Dieu […]. Tels qu’ils ressortent des Evangiles, les griefs des pharisiens sont, dans l’ensemble, mineurs. Trois d’entre eux, faisant exception, pourraient être considérés comme relativement graves : Chasser les démons par magie, pardonner personnellement les péchés (pouvoir exclusif de Dieu), donner à entendre qu’on est le Messie, sans toutefois apporter de preuves convaincantes. »

Des trois grandes accusations du dossier, le sanhédrin a mis l’accent sur le pardon des péchés par Jésus (Luc 5:18-26, etc.), qu’on pourrait mettre dans les champs de la sotériologie (doctrine du salut) et de l’hamartiologie (étude du péché).. Mais le sanhédrin tient les revendications messianiques (christologiques) du célèbre charpentier de Nazareth (Marc 6:3), devenu rabbi reconnu comme tel par le cercle fermé des docteurs d’Israël (Jean 3:1-2), comme le crime ultime.

Une fois encore, les insinuations et déclarations messianiques de Jésus, bien que d’apparence exclusivement théologique, renferment en réalité un positionnement politique, quant à la communauté juive, et géopolitique au regard de Rome. La lecture politique est implicitement dans le tollé théologique du sanhédrin, ainsi que des responsables des diverses écoles et académies. Ils trouvèrent là un moyen d’éliminer physiquement ce savant iconoclaste de la Galilée devenu célèbre, aussi bien pour la qualité de ses enseignements et que pour ses miracles époustouflants (Matthieu 22:15-46 ; Jean 11:43-48a, etc.).

1.2. La poursuite politique

L’Evangile de Jean, rapporte certains détails précieux de la concertation du sanhédrin. Immédiatement après la résurrection de Lazare, il rapporte dans le chapitre 11:48 ce qui suit : « Si nous le laissons faire, tous croiront en lui, et les Romains viendront détruire et notre ville et notre nation. » Ici, se voit l’indissociabilité de la théologie et de la politique des Israélites de l’époque de Jésus.

La théologie politique juive de l’époque était minée par les luttes d’intérêt des différents acteurs du sanhédrin particulièrement, et de la communauté juive dans son ensemble. Toute théologie se conjugue dans l’intelligente prise en compte de son paradigme propre. L’erreur en termes messianique du sanhédrin engendra des douleurs et des persécutions depuis lors jusqu’à nos jours. Le texte de Jean (11:48) énonce une poursuite politique (égoïste) née d’un conflit théologique majeur, à savoir le messianisme.

Le messianisme est conflictogène, car il est porteur de contestations légitimes, de foi loyale dans l’attente du libérateur national, d’une herméneutique et d’une exégèse dynamiques et engagées, de manifestations charismatiques et de revendications, à la fois nationalistes et souverainistes. L’Evangile de Jean (11:49-53) relève ces inquiétudes politiques qui seront aggravées par la pression messianique suscitée par Jésus (Jean 12:9-19). L’entrée de Jésus à Jérusalem, sur le dos d’un ânon, avec le cortège et la haie d’honneur longue de 15 stades grecs soit 2,775 km, ou 3 km selon l’atlas de Tim Dowley (2007:64), a une portée politique pour plusieurs raisons.

Premièrement, le cortège en lui-même est un acte politique majeur. Cet accueil triomphal de Jésus est vécu par les gens de la foule, fortement influencés par la culture grecque et le système romain, de même que par les troupes et le gouverneur de Rome, comme une adulatio impériale. Cette adulatio – action de se prosterner, génuflexion – généralement offerte par le peuple romain et ses représentants à l’empereur et aux généraux victorieux avec leurs troupes, ne pouvait laisser indifférents les partis juifs (hérodiens, pharisiens, sadducéens et zélotes). Toutes les tendances messianiques (politiques) juives hellénisées et non-hellénisées, les collaborateurs et les extrémistes de tous bords, comprirent la portée éminemment politique de ce geste de Jésus. Encore un autre agitateur ! – se dirent donc le sanhédrin et l’armée romaine en faction à Jérusalem.

Deuxièmement, le très politique titre « Fils de David » scandé par les accueillants (Matthieu 21:9, 15), abat tout doute au sujet des intentions politiques de cet évènement. L’herméneutique de la société juive d’alors et de ses luttes politiques internes et externes avec les colons romains l’atteste. Le Galiléen, précisément ce Nazaréen, font entendre les gens de la foule, est le Messie (le Christ) ; c’est-à-dire l’Oint, le Libérateur désigné et envoyé par Dieu pour restaurer la souveraineté politique et monétaire d’Israël. C’est là le sens des paroles des personnes précédant et suivant Jésus, lorsqu’elles disent : « Hosanna au Fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! » (Matthieu 21:9)

Troisièmement, les autres déclarations du peuple : (a) « Béni soit le règne qui vient, le règne de David, notre père ! » (Marc 11:10) ; (b) « Hosanna au Fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! » (Matthieu 21:9) ; (c) « Béni soit le roi qui vient au nom du Seigneur ! » suivant Luc (19:38) ; et « Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, le roi d’Israël ! » (Jean 12:13), soulevèrent de vifs et douloureux souvenirs de rébellion et de tueries chez le sanhédrin (Jean 11:50), et de la part des représentations romaines : la garnison et le gouverneur Ponce Pilate, dont les informateurs lui rapportèrent l’évènement. Cette entrée remarquable à Jérusalem est une action à la fois prophétique et politique d’envergure (Zacharie 9:9). Ce jour-là, le sanhédrin, représentatif du peuple israélite et interface politique ainsi que l’administration locale de l’Empire furent mis en alerte maximale. Le sanhédrin accéléra sa double poursuite politique : (a) sauver son image auprès de César Tibère, via son préfet Ponce Pilate, 23-36 (Bimson et al., 1986:118) ; (b) se positionner en tant que sauveur du peuple juif et institution loyale à Rome. Les principaux sacrificateurs et les pharisiens du sanhédrin fondèrent leurs accusations sur la base d’éléments théologico-politiques. Il s’agit d’abord de la revendication messianique de Jésus, qui comprend des prétentions de Jésus à Son essence divine, et de zélotisme (lutte armée contre l’occupant romain). Cela transparaît dans l’Evangile johannique (11:47-48a).

L’un des membres de cette puissante institution juive invoquera le danger que représente le docteur de Nazareth, pour la sûreté de la communauté politique israélite. Et il le dit en ces termes : « Si nous le laissons faire, […] les Romains viendront détruire et notre ville et notre nation. » (Jean 11:48). Cela indique – au moins vraisemblablement – un agenda politique caché des élites juives formant le sanhédrin, mais avec des approches et des gestes différents de ceux du leader nazaréen, Jésus. Un autre, le plus illustre de cette Cour, le souverain sacrificateur Caïphe, son président en exercice, ajoute : « vous ne réfléchissez pas qu’il est dans votre intérêt qu’un seul homme meure pour le peuple, et que la nation entière ne périsse pas. » (vs. 49-50). Par ses propos, le nasi Caïphe met en avant la raison d’Etat pour acter le processus d’arrestation et le défèrement futur de Jésus devant le procurateur Pilate.

La Cour décida secrètement la mort de Jésus pour des raisons théologiques et politiques (vs. 51-53). . Les autorités juives politico-ecclésiastiques mirent la tête de Jésus à prix. Ce dernier l’ayant su se retira de Jérusalem dans la ville d’Ephraïm, tout en maintenant Ses positions (vs. 53-54). Il n’abdiqua pas Sa philosophie sociale et Sa philosophie politique malgré les attaques incessantes et leur tragique fin. « Jésus accepte sa mort parce qu’il n’y a pas d’autre issue possible pour rester fidèle à son message qui devient intolérable aux autorités religieuses de son époque. » (Lenoir, 2007:17).

L’arrestation et l’interrogatoire de Jésus sont précédés d’une minutieuse propagande de l’élite juive (Jean 11:57). La désinformation savamment préparée et orchestrée aboutit à la condamnation de Jésus, par nombre de ceux-là même qui furent guéris, libérés du joug des démons et nourris par Son ministère (Marc 15:11, 14 ; ). Les services de désinformation, de diabolisation des justes et l’angélisme en politique datent de périodes très anciennes. La trahison et la solitude dans les moments les plus critiques ne doivent briser en aucun cas les chargés de mission salvatrice pour les communautés et les nations. Jésus nous enseigne à être des hommes et des femmes de conviction, et d’être prêts à aller au sacrifice suprême, si cela devient nécessaire. Les enseignements et la praxis de Jésus sur les sujets contre lesquels butèrent la classe dirigeante juive de Son époque sont nombreux. Parmi les plus importants, on pourrait citer :

(a) la cohabitation pacifique des différentes composantes de la communauté juive elle-même : les rapports hommes-femmes, le sort des veuves et des orphelins injustement spoliés de leurs biens financiers et matériels, les abarianim (violateurs de la Loi) dit irrécupérables et exclus de la société, la place des péagers et des publicains considérés comme des collabos (forcés ou par choix) des occupants romains, les analphabètes, les petits artisans, les domestiques, les rapports entre le patronat et le salariat, le leadership des élites juives, etc.

(b) la délicate question samaritaine qui induit le racisme, le fin de l’apartheid entre juifs dits authentiques et les autres dits Hellénistes , et les regards sur les guers (les prosélytes) divisés en deux catégories (les prosélytes de la porte et les prosélytes de justice), les divisions au sein du peuple et l’unité de façade ou fragile cohabitation entre les élites, etc.

(c) la souveraineté monétaire, l’importance de l’unité dans la démarche de la souveraineté, la nature des rapports avec l’occupant, le nouveau paradigme théologique dans un monde changé et changeant, etc.

Les principaux des Juifs accusèrent donc Jésus de zélotisme ou rébellion contre Rome, ce qui sera accueilli avec doute et méfiance par Hérode et Pilate (Luc 23:14-15). Et la trahison vint par Juda, qui accepta moyennant trente pièces d’argent de la part du sanhédrin, de livrer Jésus (Matthieu 26:47-50 ; Marc 14:43-46 ; Luc 22:47-48 ; Jean 18:2-8). L’interrogatoire mené par le sanhédrin fut sommaire, irrégulièrement conduit et expéditif, comme l’attestent les Evangiles.

Une inculpation sans preuve, avec une opinion publique juive manipulée et achetée, suffit à le conduire devant Hérode puis Pilate. En résumé, « le rôle des autorités juives se borne à une dénonciation de Jésus aux Romains. […] L’interrogatoire n’avait donc pas le caractère d’un acte juridique, mais il devait servir à l’information, afin de mieux fonder la dénonciation aux Romains. » (Oscar Cullmann, 1956:47-48). La réaction de Pilate face au chef d’accusation contre Jésus interroge plus d’un, et ce, pour plusieurs raisons.

II. Rome : procès et condamnation

1. Ponce Pilate entre répressions et concession

Le gouverneur ou préfet ou encore procurateur de Tibère, Ponce Pilate, entretenait des rapports difficiles avec les dirigeants juifs d’alors. Pilate et les Hiérosolymites eurent dès son arrivée, des différends sérieux qui faillirent déboucher sur une tuerie de masse. Ce fonctionnaire impérial introduisit discrètement dans la ville sainte, et de nuit, des enseignes (effigies) de César, ce que découvrirent au petit matin les habitants. L’autre incident est l’affectation de l’argent Temple – le korban/corban : l’offrande (Marc 7:11-13) – à la réalisation du projet d’un aqueduc transportant l’eau sur une distance de 74 km (Josèphe, La Guerre des Juifs, II, 9, 4). Si la première provocation se termina à l’amiable, la seconde en revanche, s’acheva dans un bain de sang, les Juifs de la contrée réduits au silence par la violence des troupes romaines.

Ces deux antécédents expliquent en partie l’attitude hésitante de Pilate, qui considérait l’« affaire Jésus » de très louche et remplie d’incohérences. Le procurateur demeura circonspect sur ce dossier, le regardait plutôt comme une querelle théologique, ce qui ne relève assurément pas de ses compétences, mais de l’organe suprême juif, le sanhédrin. Les quatre Evangélistes soulignent sa prudence et son incrédulité vis-à-vis de la charge de la preuve par l’instance supérieure juive (Marc 15:1-5, 9-10 – voir les autres Evangiles sur la question). Luc (23:22-23) relate : « Pilate leur dit pour la troisième fois : Quel mal a-t-il fait ? Je n’ai rien trouvé en lui qui mérite la mort. Je le relâcherai donc, après l’avoir fait battre de verges. Mais ils insistèrent à grands cris, demandant qu’il fût crucifié. Et leurs cris l’emportèrent. » Le représentant romain était pris entre : (a) la crainte de perdre son poste et (b) la volonté, semble-t-il, de réchauffer les liens distendus avec ses administrés israélites.

Concernant le premier point (a), Jean (19:12) dit : « Dès ce moment, Pilate cherchait à le relâcher. Mais les Juifs criaient : Si tu le relâches, tu n’es pas ami de César. Quiconque se fait roi se déclare contre César. » Le sanhédrin exerça une forte pression, insinuant par là une possible accusation de collusion avec l’ennemi, donc une possible dénonciation pour haute trahison contre Pilate. Une pareille entreprise juive aboutie lui aurait coûté son poste voire la vie.

Au sujet de la seconde raison (b), le procurateur de la Judée accéda à leur demande en vue d’obtenir de bons points devant son mandant à Rome. Jean (19:16) raconte : « Alors il [Pilate] le leur livra pour être crucifié. Ils prirent donc Jésus, et l’emmenèrent. » Cela pourrait être aussi motivé par le désir de redorer son blason après le triste épisode lié au corban. Une manière de montrer qu’il respecte les décisions du sanhédrin. Quel message la croix renvoie-t-elle ? Est-ce seulement le sens spirituel qu’on lui connaît de par le christianisme ?

2. La croix et le titulus

2.1. La croix

Jésus sera crucifié (cloué sur une croix) par Pilate – à son corps défendant ? – après le puissant lobbying du sanhédrin. Les gouverneurs successifs de la région connaissent son pouvoir de subversion et le contrôle qu’il exerce sur les esprits des masses juives. La croix est l’un des symboles de l’hégémonie de l’Empire, un message à l’endroit des rebelles et des mouvements anti-impérialistes romains. Il s’agit notamment d’un avertissement de l’usage de la force brute par Rome contre tous ceux qui s’élèvent contre ses intérêts et sa politique étrangère. Dans notre étude, il est question des zélotes, de tous les nationalistes et des souverainistes sous le drapeau du messianisme. Admettons-le, la croix est un indicateur de puissance d’un empire qui règne sans partage sur l’univers qu’il a soumis.

Sont crucifiées les personnes ayant attenté à la sûreté de l’Empire et de ses intérêts stratégiques, sur l’un de ses territoires. Les souverainistes juifs, les zélotes en tête, assassinaient les soldats romains isolés par petits groupes. C’est la forme actuelle des attentats terroristes auparavant pratiqués par des Juifs. Le terme zélote vient du grec zelos, qui signifie zèle. Le zélote est donc une personne fermement engagée pour la cause nationale avec un fort accent fanatique, y compris l’usage de la violence. Il existait sept catégories de pharisiens, qui prônaient une forme de lutte religieuse et pacifique excluant l’usage de la force des armes ; c’était plutôt la force de la pensée (de l’idée/idéologie). Dans le zélotisme on distinguait deux types de zélotes :

« d’une part les zélotes proprement dits qui avaient surtout un programme de réforme radicale du culte du temple et du sacerdoce existants, d’autre part les sicarii, désignation latine, littéralement « hommes au couteau », qui avaient plutôt un programme politique visant l’expulsion des Romains et l’établissement d’un puissant Royaume d’Israël. Mais dans les deux groupes, foi et politique se côtoyaient. » (Oscar Cullmann, 1970:15)

Les autorités juives avaient-elles des preuves de la participation de Jésus à de pareilles activités ? Les Evangiles et l’Histoire répondent non à cette interrogation. Toutefois, il faut souligner que Jésus, le prophète de Nazareth en Galilée, avait un (ex) zélote notoire dans Ses Douze. Et c’est le nommé Simon, que Luc – dans le chapitre 6:15 et Actes 1:13 – appelle avec insistance le zélote. Simon, apôtre de Jésus était imprégné de l’idéologie zélote. De quelle tendance zélotiste était-il ? Là-dessus, Luc ne fournit aucun détail, contrairement à son habitude. L’une des réussites sociopolitiques et théologiques de Jésus, est Sa capacité à faire vivre harmonieusement des gens appartenant à des partis et des écoles de pensée très opposés voire ennemis. Difficile donc d’accuser l’auteur d’une telle prouesse théologique, sociétale et politique, de comploter contre Rome.

Le prédicateur de la non-violence, du pardon et de la réconciliation avec l’occupant romain, ne peut pas être qualifié de maquisard sans susciter la méfiance de Pilate et d’Hérode. Leurs agents de renseignement et la police secrète du roi Hérode avaient fourni les preuves démontrant l’innocence de Jésus de Nazareth. La prédication du malkut Yahwé/YHWH – dans les Evangiles Royaume de Dieu – par Jésus, n’est premièrement pas Son invention ; elle existait avant Sa naissance dans les cercles des prophètes, théologiens et autres sages d’Israël. L’idée du règne (royauté) de Dieu est partagée par les israélites de tous les âges, et à des degrés divers, y compris le sanhédrin, Jésus, les apôtres ainsi que les plus humbles disciples, et ce, même après la résurrection de Jésus (Luc 24:13-21).

« La royauté de Dieu (malkut YHWH) est l’expression de l’absolue souveraineté du Dieu d’Israël sur son peuple et sur la création. […] Le judaïsme contemporain de Jésus connaît donc une juxtaposition du Royaume présent, le premier étant espéré, le second célébré par le culte et la fidélité de vie. Cette même structure temporelle gouverne la pensée de Jésus. » (Daniel Marguerat, 2019:129, 133)

Les apôtres et les autres disciples, les femmes y compris, associèrent le don du Saint-Esprit à une cause nationaliste (Actes 1:5-8). Le patriotisme et le souverainisme habitent tous les disciples de Jésus, Lui-même de prime abord. Toutefois, le Maître n’a jamais fait la promotion d’une lutte armée. On ne peut néanmoins nier Ses discours tantôt subversifs tantôt virulents contre Rome et certains de ses représentants. Tout ceci prouve à suffisance que Jésus n’était pas le maquisard que le sanhédrin s’efforçait de démontrer. Juridiquement, c’est-à-dire au regard du droit romain, il n’était coupable d’aucun des crimes insurrectionnels dont on l’accusait. Jésus ne méritait aucune sanction de Rome et encore moins d’être cloué sur la croix. Il n’était pas un chef rebelle engagé dans la lutte armée. Jésus n’était pas un zélote et surtout pas un meurtrier.

En dépit de toutes ses certitudes personnelles, Pilate crucifie Jésus. Surprenant arrangement et rapprochement politique entre Hérode, Pilate et les principaux des Juifs. « Et Jésus crucifié, non pour une raison doctrinale, mais comme Roi des Juifs. » (Félix Mutombo-Mukendi, 2011:216). Ce trio constitué de théologiens, de militaires et de politiques obéit sans le savoir, à un projet de Dieu (Jean 11:51-52). Même dans ses souffrances et face à la certaine mort, Jésus accomplit Sa mission de réconciliation entre ennemis, et ce, au détriment de Lui-même (Luc 23:6-15)

2.2. Le titulus

Du latin, le titulus – au pluriel tituli – est pendant l’Antiquité, et dans l’empire romain en l’occurrence, une inscription apposée sur tout type de support. Il importe de souligner qu’il existe alors différents types de tituli :

(a) le titulus de la cérémonie de triomphe. C’est une plaque (affiche) qu’on mettait à l’extrémité d’une perche portée par les légions romaines lors de la cérémonie du triomphe. Le titulus triomphal indique à la multitude les informations ci-après : le nom des légions, le nombre de prisonniers, la quantité du butin, les noms des villes et des pays soumis. Et toutes ces données sont écrites en gros caractères, afin d’être lisibles de loin.

(b) le titulus des condamnés. C’était le petit écriteau indiquant le crime de la personne crucifiée. La tradition veut que ce titulus particulier soit porté à l’avant du cortège du condamné à sa sortie de prison ou encore qu’il soit suspendu à son cou. Des difficultés existent à trouver dans les sources anciennes, la pratique du titulus fixé au haut de la croix, au-dessus du crucifié. La version des Evangiles, contestée par certains, peut s’expliquer par la singularité de l’affaire elle-même, des personnalités et institutions directement impliquées, ainsi que du célèbre condamné, Jésus de Nazareth.

Ce Nazaréen, qui n’est pourtant pas reconnu coupable de zélotisme, est crucifié en tant qu’homme d’Etat rival de Rome. Il est déclaré contre toute attente Roi des Juifs. Au-dessus de la Croix de Jésus, le sanhédrin éberlué (fortement étonné) découvre l’inscription sur le titulus, qui indique la raison de sa crucifixion : « Celui-ci est Jésus de Nazareth, le roi des Juifs. » Cela découle du témoignage des quatre Evangiles. L’analyse de Mutombo-Mukendi au sujet du message de ce titulus du prophète galiléen élucide les non-dits de Pilate, :

« Et aux Juifs qui lui demandait de modifier l’inscription faite en hébreu, en grec et en latin, Pilate dit : Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit. (19.22) L’usage des trois langues envoie le message impérial au monde entier alors sous la domination idéologique, économique et politique romaine : communication politique mondialisée par excellence. » (Mutombo-Mukendi, 2011:216-217)

La condamnation de Jésus et le titulus sur Sa Croix, entrent dans la dynamique eschatologique qui aboutira à la matérialisation du kaddisch juif modifié par le Nazaréen, et connue des chrétiens sous les appellations le Notre Père et Pater. Ce titulus inaugure en grande pompe dans le Ciel, mais dans une grande tristesse sur la terre, ces propos particulier de la prière de Jésus et des Siens : « Que ton règne vienne. » – voir Matthieu (6:9) et Luc (11:2).

Cette prière est un appel pressant à un changement de régime politique, une plainte contre les dirigeants sans pitié envers leur peuple. Faire cette prière c’est dénoncer les abus politiques d’un certain système international anthropophage, qui vend le pauvre pour une paire de soulier. Cette prière est aussi une critique et la condamnation du mécanisme pipé de la santé, dont les véritables propriétaires s’engraissent, grâce à la malbouffe et aux pandémies vraies et fabriquées (Amos 8:4-7).

3. Crucifixion ou crucifiement

Le terme courant pour tous les condamnés à cette peine capitale romaine est le crucifiement. Cependant, le christianisme a privilégié le mot crucifixion, pour distinguer la nature exceptionnelle du supplicié (Jésus) et la puissance de cet acte qui, en réalité, est à la fois le plus puissant autel du cosmos, ainsi que l’ultime action prophétique et politique universelle. Cette double action qu’est la Croix de Jésus se distingue par sa nature transgénérationnelle et inclusive

Le crucifiement est le supplice des pécheurs, qu’ils aient été coupables ou victimes d’erreurs judiciaires ou arbitrairement accusés. Leur croix n’apporte ni pardon des péchés à l’humanité ni délivrance du joug des démons, etc. Déplorant les supplices de ces gens, nous les distinguons de celles de Jésus de Nazareth.

La puissance de cette Croix (de Jésus), est de par sa nature mystique et politique. Le pouvoir politique à Rome et ailleurs dans le monde avant, pendant et après cet empire, est lié au sang du rituel répandu sur l’autel. L’Etat est d’abord du ressort d’un agenda spirituel. Des forces spirituelles invisibles interviennent dans chaque position politique. Nous nous limitons dans notre étude-ci, à cette unique déclaration de l’exégète Paul :

« Car ce n’est pas seulement de notre combat à nous qu’il s’agit. Nous n’avons pas à lutter uniquement contre notre nature terrestre ni contre de simples ennemis mortels, mais contre les puissances occultes, contre une organisation spirituelle satanique, contre les dictateurs invisibles qui, dans les ténèbres, veulent contrôler et régir notre monde, contre la légion des esprits démoniaques dans les sphères surnaturelles, véritables agents du quartier général du mal. » (Ephésiens 6:12, N.T, Parole Vivante)

La traduction Louis Segond de 1910 parle en dernière position des « esprits méchants dans les lieux célestes. » Le terme grec utilisé pour méchants est poneria (au singulier poneros). Le mot poneros (la lourde charge, la peine, le mal) a donné naissance à une malfaisante doctrine politique non officielle, mais bien réelle dans la pratique. Il s’agit de la ponérologie politique, qui est l’étude de la genèse du mal, appliquée à des fins politiques. On parle de « mal macro-social » : le mal sur grande échelle, qui affecte des sociétés et des nations entières, et qui le fait depuis des temps immémoriaux (Andrew M. Lobaczewski, 2006:8). Il décrit la ponérologie en tant que nouvelle discipline scientifique.

Prier « Que ton règne vienne ! » revient à prier contre les esprits et entités humaines, qui pensent le mal sous diverses formes, et l’utilisent pour contrôler et assujettir l’humanité. C’est s’attaquer au mal macro-social de plus en plus virulent ces dernières années. Cette prière a acquis une puissance inimaginable à la croix de Jésus, preuve qu’elle est éminemment mystique.

La croix de Jésus est mystique parce qu’elle est le lieu du rendez-vous, le carrefour entre le Dieu créateur et les esclaves du péché, de la mort et des démons. Elle l’est aussi à cause de sa proximité avec chacun de nous, juste à la porte de chaque cœur, attendant le cri repentant de chacun pour lui communiquer pardon, paix, joie et repos. La Croix de Jésus porte le titulus de la cérémonie de triomphe éternel et universel. Paul, savant théologien charismatique le dit en ces termes :

« Et, sans contredit, le mystère [la mystique chrétienne] de la piété est grand : celui qui a été manifesté en chair, justifié par l’Esprit, vu des anges, prêché aux Gentils, cru dans le monde, élevé dans la gloire. » (1 Timothée 3:16)

La Croix et son titulus ne sont plus à Jérusalem, ils sont près de votre bouche et de votre cœur. Toutes les puissances de l’enfer comprennent son message, et se soumettent partout où quelqu’un invoque le nom du Roi crucifié Jésus. Tous les anges déchus et non-déchus sont attentifs à la voix libératrice qui sort de cet autel, précisément du sang dont le message s’entend outre-silence, outre-tombe et outre-univers.

Tous les esprits – des humains, serviteurs du Christ ressuscité et au service du diable – lisent autrement le titulus de Jésus. A sa résurrection, le titulus du Christ s’est enrichi ; et désormais on y lit : « Celui-ci est Jésus de Nazareth, le Roi des Juifs, des non-Juifs, des anges du Ciel et même du royaume des ténèbres. »

La Croix est politique à double titre. Premièrement, c’est un instrument politico-judiciaire impérial. Pour Rome, c’est une arme dissuasive, un outil géopolitique qui dit de ne surtout pas chercher à le contrarier. Le titulus du Jésus qui parle à tous les peuples colonisés fait recours à la géopolitique des langues ou lingua franca d’alors. La Croix du Fils de l’homme instaure une tension entre Ses suiveurs et le mal macro-social et la félonie en politique.

La Croix du Ressuscité appelle à la mobilisation en faveur de la justice, de la paix et de la joie par la puissance du Saint-Esprit (Romains 14:17). La foi du disciple de Christ n’est pas dans l’obtention et la jouissance des biens passagers. Ce message de Paul aux Romains est d’actualité. Ce texte paulinien établit une indissociable connexion, à partir de la Croix entre spiritualité et responsabilité sociopolitique. La foi en Jésus, par conséquent dans l’œuvre de Son Sang offert sur la Croix, créé un lien :

« […] indissoluble entre les dimensions mystique et politique de la Foi chrétienne authentique, lien sans lequel la Foi devient la foire de tous les cultes et de tous les humanismes ! Le TOUT dans cet envoi vers les nations (la cité, la société) porte une signature mystique et politique : La promesse rassurante de la présence souveraine et active du Ressuscité et Glorifié, à qui tout pouvoir a été remis dans le ciel et sur la terre. » (Mutombo-Mukendi, 2015:276)

L’authentique mystique chrétienne repose sur la foi et l’éthique non conformiste de Jésus, le Fils de l’homme souffrant, le Roi des Juifs et de tout l’univers des pouvoirs visibles et invisibles. Cette mystique chrétienne dévoyée depuis des siècles repose sur la crucifixion du Ressuscité. Elle tire sa substance dans le message de sacrifice de soi pour le bien de sa cité. La Croix et l’engagement résolu pour la justice, la paix et la joie des siens et des ennemis de notre loyauté au Roi, résument cette véritable mystique chrétienne.

Conclusion

La mort de Jésus est restée pendant des siècles un sujet abordé dans le cadre de l’Eglise . Les aspects spirituels ou mystiques sont généralement les mieux connus des paroissiens et du grand public. Toutefois, l’exégèse et l’histoire nous dévoilent un pan des plus importants de la crucifixion du célèbre prophète de Nazareth. Sa naissance, Ses enseignements, ses concurrents des autres académies juives, ses rapports avec le sanhédrin, ses philosophies sociale et politique dans un peuple en crise identitaire, en disent long sur ses positions sociopolitiques.

Tantôt subversif et tantôt frontal sur des sujets politiques en lien avec ses compatriotes ou avec l’occupant romain, Jésus de Nazareth est difficilement cernable sans un recul et une analyse objective des récits des quatre évangélistes. Ses réformes sociales et son adresse sur des sujets sensibles, comme la souveraineté en général et la souveraineté monétaire en particulier ou encore son intelligente gestion de la question samaritaine, creusent un fossé énorme entre Lui et le sanhédrin.

Son arrestation et les actions du tribunal suprême juif, en parfaite violation du droit de ce peuple. L’affaire Jésus donne du fil à retordre à tous, le sanhédrin, Hérode et le procurateur Pilate. Ce dernier, en dépit des preuves de son innocence et de l’avertissement de son épouse, préféra sauver sa carrière et réchauffer ses liens avec les autorités juives. Ces derniers ont versé dans la propagande et la manipulation de l’opinion des masses pour faire accuser Pilate.

Le gouverneur Ponce Pilate l’ayant fait crucifier comme chef zélote, leader nationaliste, il flanquera sa Croix d’un titulus explicite. La mort de Jésus est donc incontestablement politique. C’est un homme politique de haute stature, le Roi des Juifs, venu de la Nazareth méprisée aussi bien par les Juifs d’ailleurs et par les Romains. Cette Croix est de par sa nature mystique et politique. Même dans la mort, il remporta la couronne politique universelle, celle qu’espère encore de nombreux Juifs, et que le diable lui avait proposée au début de son ministère. La pâque de Moïse en Egypte voit son apothéose politique en ce mystérieux campagnard venu de Nazareth.

Le Ressuscité ayant accompli le rituel sanglant du pouvoir d’Etat à la Pâques, rejoignit le Père en annonçant Son retour pour accomplir le règne qu’invoquent chaque jour Juifs et chrétiens à travers le Kaddisch et le Notre Père. La pâque fut et demeure hautement mystique et politique. Croire en Jésus crucifié est une décision politique indiscutable. Le regard tourné vers la Croix signifie un engagement à lutter contre l’injustice et la destruction de la dignité humaine. Porter sa croix signifie participer au bien commun dans un Etat souvent méchant mais voulu de Dieu, dans l’attente de la manifestation du bienheureux règne de Dieu.

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