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Le Christianisme social : une théologie politique de l’action face aux défis sociaux

Cet article constitue une brève présentation du mouvement du Christianisme social et de la doctrine sociale de l’Église. Deux concepts proches qui appellent à l’action concrète du chrétien face aux défis sociaux, économiques, politiques de la société.

Le Christianisme social naît en Europe au 19ème siècle, avec l’avènement de la révolution industrielle. Les inégalités sociales provoquées par celle-ci amènent plusieurs théologiens chrétiens à s’alarmer des injustices économiques et à défendre la cause des plus démunis. Ils cherchent à appliquer les enseignements du Christ face aux défis sociaux et politiques de l’époque et soutiennent que l’Église doit jouer un rôle actif dans la promotion de la justice sociale et de l’égalité. Ainsi naît le Christianisme social qui se veut critique et pratique face aux enjeux socio-économiques de la société.

En France, le pasteur Tommy Fallot¹ est considéré comme le fondateur du Christianisme social. En 1878, il donne plusieurs prédications où l’on retrouve les grands thèmes qui caractérisent le mouvement : le combat pour la réalisation du Royaume de Dieu, l’importance d’une réflexion théologique consacrée aux questions sociales, la volonté d’une lutte contre les injustices, l’influence et le retentissement du milieu social sur l’univers religieux et la formation spirituelle de l’être humain. Quelques années plus tard, Tommy Fallot devient le président de l’Association protestante pour l’étude pratique des questions sociales, qui deviendra en 1888 le mouvement du Christianisme social. D’autres hommes de foi emboîtent le pas au pasteur Tommy Fallot et deviennent également des figures importantes du mouvement. L’économiste Charles Gide²deviendra d’abord vice-président (1888) puis président (1922) du mouvement du Christianisme social. Ensuite, le pasteur Wilfred Monod³marque aussi le mouvement notamment avec sa thèse de doctorat, deux recueils de prédications et un catéchisme centré sur le Royaume de Dieu. Il prend la direction du Christianisme social et de sa revue à partir de 1908. Il devient également le secrétaire de la Fédération internationale du Christianisme social, puis co-directeur de l’Institut international du Christianisme social en Suisse. Ce qui est déterminant pour les partisans de ce mouvement c’est le fait qu’il ne peut y avoir de réformes sociales en profondeur si on se limite à la conversion individuelle, en comptant par exemple sur son caractère contagieux. À leurs yeux, la conversion spirituelle et l’action sociale doivent aller de pair, et doivent même se nourrir mutuellement.

« Il s’agit de ne jamais interpréter la foi chrétienne comme une simple religion de l’intériorité, ou comme une unique espérance en un au-delà, mais bien comme une foi qui renvoie à ce monde-ci pour le changer et l’humaniser. On n’est pas sauvé « du » monde, mais sauvé ou libéré « pour » ce monde qui souffre, que Dieu a fait et qu’il aime. Le maître mot de cette interprétation de la foi chrétienne est celui de solidarité. »

En 1958, c’est le philosophe Paul Ricoeur⁵ qui devient président du Mouvement du Christianisme social. Il reste à sa tête pendant douze ans. Douze ans de confrontations intellectuelles et militantes dans un contexte sociopolitique marqué par le marxisme, la guerre froide… À la fin des années 60, le mouvement cherche un nouveau souffle car les groupes locaux s’étaient délités. Seule la Revue du Mouvement poursuit son service de réflexion et d’interpellation. Au début des années 2000, le Mouvement du Christianisme social et sa revue “Autre temps” s’arrêtent. En juin 2010, un appel pour la relance du christianisme social a été publié dans l’hebdomadaire protestant Réforme, signé par 203 personnes, tant protestantes que catholiques.

Le mouvement du Christianisme social se développe bien au-delà des frontières françaises. En Allemagne, des théologiens comme Dietrich Bonhoeffer⁶ et Karl Barth, opposé au régime nazi, affirment la responsabilité du chrétien de lutter contre les injustices sociales et politiques. En Grande-Bretagne, des personnalités telles que William Temple, évêque anglican et archevêque de Canterbury, ont encouragé l’application des principes chrétiens à la vie sociale et économique. Au 20ème siècle, le christianisme social a continué à jouer un rôle important dans la vie politique et sociale britannique, avec des personnalités telles que William Beveridge⁷, qui a écrit le rapport Beveridge en 1942, qui jette les bases du système de sécurité sociale britannique. Le leader travailliste britannique Keir Hardie⁸ a été influencé par le christianisme social, et a travaillé pour la justice sociale et les droits des travailleurs.

Le christianisme social a également une histoire riche aux États-Unis, qui remonte au début du XIXe siècle. Les premiers mouvements sociaux chrétiens aux États-Unis ont été lancés entre autres par les Quakers qui ont cherché à promouvoir la justice sociale, l’abolition de l’esclavage et la réforme des prisons et des institutions mentales. Au 20ème siècle, le christianisme social a continué à jouer un rôle important dans la vie politique et sociale américaine, avec des personnalités telles que le révérend Martin Luther King Jr., qui a été une figure clé dans le mouvement américain des droits civiques dans les années 1960. Le mouvement pour les droits civiques a été un moment clé pour le christianisme social américain, avec des églises noires et blanches qui ont travaillé ensemble pour lutter contre la ségrégation raciale et la discrimination.

Le Christianisme sociale et le marxisme

Le Christianisme social n’est pas intrinsèquement marxiste, bien que certaines idées et valeurs du christianisme social puissent parfois se rapprocher des idées marxistes. Bien que certains chrétiens sociaux aient été influencés par les idées de Marx, le Christianisme social ne s’identifie pas automatiquement au marxisme.

Les différences entre le christianisme social et le marxisme sont multiples. Tout d’abord, le christianisme social se fonde sur la foi chrétienne, alors que le marxisme est une théorie laïque. Les chrétiens sociaux cherchent à suivre les enseignements de Jésus-Christ pour améliorer la vie des gens, tandis que les marxistes cherchent à transformer la société par une révolution politique. De plus, le christianisme social valorise l’individu et la communauté, tandis que le marxisme se concentre sur les classes sociales. Les chrétiens sociaux croient que chaque personne est créée à l’image de Dieu et possède une valeur intrinsèque, tandis que les marxistes considèrent les individus essentiellement en fonction de leur position dans la société. Enfin, le christianisme social encourage souvent la coopération avec les institutions existantes pour réaliser des changements sociaux, tandis que le marxisme prône plutôt une confrontation directe avec les structures de pouvoir établies. En somme, bien que le christianisme social et le marxisme partagent des préoccupations communes pour la justice sociale, ils adoptent des approches différentes pour y parvenir en fonction de leur vision du monde et de leurs convictions philosophiques et religieuses.

La pensée sociale chrétienne

En parallèle du mouvement du Christianisme social principalement développé dans le milieu protestant, se développe la doctrine de la pensée sociale chrétienne par l’Église catholique. Les deux concepts se recoupent souvent, mais ont quelques nuances. Là où le Christianisme social se centre sur la notion d’incarnation, c’est-à-dire l’idée que les chrétiens doivent incarner leur foi dans le monde en s’engageant activement dans les questions sociales, économiques et politiques, la pensée sociale chrétienne, quant à elle, est une réflexion théologique qui énonce des principes et des valeurs qui doivent guider l’action des chrétiens dans le monde. Elle insiste également sur l’importance de la dignité de la personne humaine, de la solidarité et de la promotion de la justice sociale.

L’encyclique Rerum Novarum⁹ du pape Léon XIII parut en 1891 serait à l’origine de la pensée sociale chrétienne.  La dénomination entendue dans son sens actuel se retrouve dans l’encyclique Quadragesimo Anno¹⁰ du pape Pie XI, parut en 1931

La pensée sociale chrétienne a été développée dans le Compendium de la doctrine sociale de l’Église, texte parut en 2004 et publié par le cardinal Renato Raffaele Martino, président du conseil pontifical Justice et Paix.

Le Compendium de la doctrine sociale de l’Église présente les principes fondamentaux qui guident l’action sociale et politique des chrétiens. Voici quelques-uns de ces principes :

  1. La dignité de la personne humaine : Tous les êtres humains sont créés à l’image de Dieu et ont une valeur intrinsèque. Par conséquent, ils ont droit à une vie digne et à la protection de leurs droits fondamentaux.
  2. Le bien commun : Le bien commun est l’ensemble des conditions sociales qui permettent à chaque personne de réaliser sa dignité humaine. La promotion du bien commun est la responsabilité de tous les membres de la société.
  3. La subsidiarité : Les décisions doivent être prises par les autorités les plus proches des citoyens concernés. Les autorités supérieures ne doivent intervenir que lorsque les autorités inférieures ne peuvent pas accomplir leur mission.
  4. La solidarité : La solidarité est l’engagement de chacun envers le bien des autres. Cela signifie que nous sommes responsables les uns des autres et que nous devons travailler ensemble pour créer une société plus juste et plus fraternelle.
  5. La destination universelle des biens : Les biens de la terre sont destinés à l’ensemble de l’humanité. Par conséquent, la propriété privée doit être subordonnée au bien commun et être mise au service des plus pauvres.
  6. Le travail : Le travail est un moyen pour les personnes de réaliser leur dignité et de contribuer au bien commun. Par conséquent, il doit être protégé et promu par la société.
  7. La participation : Tous les membres de la société doivent avoir la possibilité de participer à la vie sociale, économique et politique. La participation est une condition nécessaire pour une société démocratique et pour la promotion du bien commun.

Dans son exhortation apostolique Evangelii Gaudium¹¹ de novembre 2013, le Pape François reprend les fondamentaux de la Doctrine Sociale de l’Église (à partir des §176 et suivants) en y ajoutant une perspective d’évangélisation. À l’origine, la doctrine sociale de l’Église s’était surtout concentrée sur la question sociale, en réponse aux graves problèmes sociaux engendrés par la révolution industrielle du XIXe siècle. Cependant, l’apport le plus significatif de François concerne la « sauvegarde de la maison commune » – la protection de la Création – en réponse aux problèmes environnementaux, climatiques et sociétaux qui se sont intensifiés depuis les années 1970.

Sources :
ROGNON Frédéric, Charles Gide, militant du Christianisme social, paru dans le revue Réforme, 15 avril 2017.
CHALAMET Christophe, Pasteurs revivalistes: Genèse du Christianisme social, paru dans la revue Réforme, 29 août 2013.
GAGNEBIN Laurent, Christianisme social, paru dans la revue Réforme, 6 avril 2004
https://www.lesedc.org/

¹ Tommy Fallot né le 4 octobre 1844 à Fouday (Bas-Rhin) et mort le 3 septembre 1904 à Mirabel (Drôme), est un pasteur protestant d’origine alsacienne considéré comme l’initiateur du christianisme social en France.

² Charles Gide, né le 29 juin 1847 à Uzès (Gard) et mort le 12 mars 1932 à Paris, est un économiste et enseignant français. Il est le dirigeant historique du mouvement coopératif français, le théoricien de l’économie sociale, le président du mouvement du christianisme social, fondateur de l’École de Nîmes et membre de la Ligue des droits de l’homme ainsi que de la Ligue pour le relèvement de la moralité publique.

³ William Frédéric Monod, dit Wilfred Monod, né le 24 novembre 1867 à Paris et mort le 2 mai 1943 dans la même ville1, est un pasteur et théologien réformé français. Pasteur au temple protestant de l’Oratoire du Louvre de 1907 à 1938, c’est une figure historique du christianisme social.

⁴ CHALAMET Christophe, Pasteurs revivalistes: Genèse du Christianisme social, paru dans la revue Réforme, 29 août 2013.

⁵ Paul Ricœur, né le 27 février 1913 à Valence (Drôme) et mort le 20 mai 2005 à Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine), est un philosophe français. Il s’inscrit dans les courants de la phénoménologie et l’herméneutique, en dialogue constant avec les sciences humaines et sociales. Il s’intéresse aussi à l’existentialisme chrétien et à la théologie protestante. Son œuvre est axée autour des concepts de sens, de subjectivité et de fonction heuristique de la fiction, notamment dans la littérature et l’histoire.

⁶ Dietrich Bonhoeffer, né le 4 février 1906 à Breslau (aujourd’hui Wrocław en Pologne), et mort (exécuté) le 9 avril 1945 au camp de concentration de Flossenbürg, en Bavière, près de l’actuelle frontière germano-tchèque, est un pasteur luthérien, théologien, essayiste et résistant au nazisme1, membre influent de l’Église confessante.

⁷ William Beveridge, 1er baron Beveridge de Tuggal, né le 5 mars 1879 à Rangpur et mort le 16 mars 1963 (à 84 ans) à Oxford, est un économiste et homme politique britannique. Il fut directeur de la London School of Economics, une université britannique située à Londres. Il est surtout connu pour son rapport parlementaire de novembre 1942 sur les services sociaux et services connexes (Report to the Parliament on Social Insurance and Allied Services), plus connu sous le nom de « rapport Beveridge », qui fournit les bases de réflexion à l’instauration de l’État-providence par le gouvernement travailliste d’après-guerre.

⁸ James Keir Hardie, né le 15 août 1856 à Newhouse (North Lanarkshire) et mort le 26 septembre 1915 à Glasgow, est un homme politique socialiste écossais, premier travailliste élu à la Chambre des Communes, sept ans avant la conférence de fondation du Labour Party, dont il fut le premier président.

⁹ Rerum novarum (De choses nouvelles) est une encyclique publiée le 15 mai 1891 par le pape Léon XIII (1810-1903). Elle constitue tardivement le texte inaugural de la doctrine sociale de l’Église catholique. S’inspirant des réflexions (notamment les travaux de l’union de Fribourg) et de l’action des « chrétiens sociaux », l’encyclique, écrite face à la montée de la question sociale, condamne « la misère et la pauvreté qui pèsent injustement sur la majeure partie de la classe ouvrière » tout autant que le « socialisme athée ». Elle dénonce également les excès du capitalisme, et encourage de ce fait le syndicalisme chrétien et le catholicisme social.

¹⁰ Quadragesimo anno est une encyclique du pape Pie XI, publiée le 15 mai 1931, 40 ans après Rerum Novarum (d’où son nom qui, en latin, signifie « dans la quarantième année »). Écrite en réponse à la Grande Dépression, elle préconise l’établissement d’un ordre social fondé sur le principe de subsidiarité.

¹¹ Evangelii Gaudium, 24 novembre 2013 | François (vatican.va)

 

 

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