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Portrait du Prophète Jérémie

Dans cet article tiré du livre Prophétisme et Conseil d’État du Dr. Luc Elomon, il est question d’examiner le parcours du prophète Jérémie. Ce personnage biblique et emblématique marque les esprits de ceux qui lisent la Bible. Sa vocation et l’influence de son arrière-plan familial et religieux jouèrent un rôle dans son ministère prophétique et sa responsabilité de conseiller d’État auprès du roi Sédécias. 

Sa vocation 

« La parole de l’Éternel me fut adressée, en ces mots : Avant que je t’eusse formé dans le ventre de ta mère, je te connaissais, et avant que tu fusses sorti de son sein, je t’avais consacré, je t’avais établi prophète des nations. Je répondis : Ah ! Seigneur Éternel ! voici, je ne sais point parler, car je suis un enfant. » (Jérémie 1:4-6).

L’appel de Jérémie a lieu à un âge jeune¹. Il est réticent, et sur la base des critères sociaux, il avance comme argument à Dieu son jeune âge. Son appel au ministère prophétique intervient alors qu’il avait 20 ans². Cette attitude est l’écho du conformisme et du conservatisme hérité de son background sacerdotal. Le dialogue qui s’engage entre l’Éternel et le jeune homme bien éduqué, de bonne famille, instruit dans une culture normative propre au sacerdoce bimillénaire sont des facteurs qui éclairent sur sa réticence. Outre ces facteurs, il faut souligner les informations relatives à la politique de Juda et celle de la région en sa possession, vu les fonctions de son père dans le sacerdoce et au plan politico-judiciaire. Jérémie capitule une fois sa bouche touchée par la main de l’Éternel³. Son background sacerdotal fut pour beaucoup dans sa mission de prophète et de conseiller du roi. 

Jérémie… est né et a grandi dans le village sacerdotal d’Anathoth (à 6 km au nord-est de Jérusalem) durant le règne du méchant roi Manassé. Jérémie a débuté son ministère prophétique durant la 13ème année du règne de Josias, qui était un bon roi ; il a soutenu le mouvement de réforme amorcé par ce dernier. […] Il passa 20 ans à prophétiser à la nation de Juda, après quoi Dieu lui dit de mettre ses prophéties par écrit ; c’est ce qu’il a fait en dictant ses prophéties à son secrétaire, Baruc (36.1-4)⁴.

Son arrière-plan familial et religieux 

Le prophète Jérémie est né d’un père attaché à la loi de l’Éternel, l’un des acteurs du grand réveil spirituel et de la réforme institutionnelle sous le roi Josias. Jérémie, alors en formation pour devenir sacrificateur suivait de près l’actualité du palais. Il avait connaissance, dès son jeune âge, des rouages de la politique interne de Juda, des ministres et autres grands du palais. Cette intimité avec la cour royale s’explique par les responsabilités très élevées de son père Hilkija dans le pays. Jérémie, tout comme son père, avait soutenu les réformes du roi Josias. L’actualité politique nationale et internationale ainsi que les débats et défis sociaux de son pays lui étaient donc familiers. 

Jérémie est d’une famille et d’une lignée de conservateurs. Le Lévitique (21:1-23) révèle que la vie de Jérémie était auparavant caractérisée par un rigorisme absolu, qui marquait sa vie en famille, dans le microcosme des sacrificateurs et en société. L’éthique très élevée de Jérémie s’explique par la discipline, le précautionnisme⁵, l’étude studieuse de la Loi et les prières continuelles imposées aux sacrificateurs. Les capacités intellectuelles du sacrificateur étaient donc parmi les critères requis pour servir dans ce corps ministériel. Toute cette discipline et ce rigorisme font de Jérémie un fondamentaliste comme ses pères. Les improvisations dont font preuve les prophètes israélites sont strictement prohibées dans le ministère sacerdotal. Tous ces antécédents sacerdotaux créèrent un choc dans le jeune Jérémie. Son monde s’écroulait avec les nouvelles habitudes qu’il avait du mal à accepter. Le prophétisme bien qu’encadré par une haute éthique et des conditions spéciales paraissait très étrange, voire barbare pour cet aristocrate méticuleux. Le ministère prophétique était-il pour autant étranger à la famille de Jérémie ?

Le ministère prophétique qu’embrassait Jérémie n’était pourtant pas nouveau pour les siens eu égard à leur arbre généalogique. Remontant plus haut dans l’arbre généalogique de sa famille, on retrouve un prophète, et non des moindres dans l’histoire d’Israël. Il s’agit d’Aaron, le premier à avoir campé le rôle de souverain sacrificateur dans l’histoire des Hébreux⁶.

 « L’Eternel dit à Moïse : vois, Je te fais Dieu pour Pharaon : et Aaron, ton frère, sera ton prophète. » (Exode 7:1).

 Aaron est donc le second prophète de Dieu en Egypte, mais aussi le second prophète de l’Exode. L’élément prophétique était latent dans la lignée d’Aaron, n’attendant que l’ordre de l’Éternel pour se manifester à nouveau. L’appel de Jérémie au prophétisme sonne comme une réactivation du « don rédempteur » familial. C’est aussi le redémarrage de la mission prophétique auprès des rois, comme le firent Aaron et Moïse en Egypte. Toutes ces choses relèvent de la sagesse infiniment variée de Dieu et des richesses de Ses profondeurs. Le prophétisme dont Moïse, Aaron furent les agents était déjà porteur de gènes politiques et d’une vision politique. C’est ce que le Dr. Elomon appelle le prophétisme politigène. Vu sa genèse depuis Abraham, le prophétisme israélite est politigène⁷. La Loi et l’Alliance de l’Éternel consécutives au prophétisme hébreu le sont également. Le prophétisme est politigène de par ses fondements, sa dynamique et sa finalité, à savoir: faire d’un individu nomade appartenant à un clan chaldéen, une grande et puissante nation. Celle-ci sera une source de bénédiction pour toutes les nations.  Le but du prophétisme de l’Exode était de faire sortir un peuple, une nation, de l’Egypte, superpuissance mondiale incontestée d’alors. Le but des actions et prières prophétiques en Egypte, ainsi que les différents entretiens des deux frères prophètes avec pharaon et son gouvernement sont incontestablement politiques. 

Jérémie reprend le flambeau de ce prophétisme, don rédempteur de sa maison paternelle, à une époque de grave crise politique en Juda. L’heure de faire entendre à nouveau cette voix prophétique dans un contexte national et international en tension avait sonné. Ainsi, Jérémie fédère, grâce à la main de l’Éternel qui toucha sa bouche, l’onction et la grâce prophétique ainsi que la rigoureuse discipline et éthique de la sacrificature. Il était l’homme providentiel, dûment équipé et capable, à son propre insu, d’accomplir la mission divine auprès des rois et des peuples⁸.  Le prophétisme est un don rédempteur, porteur de riches notions politiques pour une praxis mobilisatrice, transformatrice et émancipatrice des peuples. 

Son cursus

Comprendre le cursus de Jérémie n’est pas une tâche aisée. Tout parent israélite a l’obligation d’instruire son enfant conformément à la Loi, d’après le Deutéronome (6:6-9). Ce commandement, une fois respecté, avait pour conséquence de transformer toute la nation en une université à ciel ouvert. Le niveau d’instruction des Israélites était alors très élevé, représentant un atout majeur de développement et d’isonomie dans le pays. 

« Et ces commandements, que je te donne aujourd’hui, seront dans ton cœur. Tu les inculqueras à tes enfants, et tu en parleras quand tu seras dans ta maison, quand tu iras en voyage, quand tu te coucheras et quand tu te lèveras ». (Deutéronome 6:6-7).

Jérémie avait cette base éducative respectable. L’onction prophétique qu’il reçut adouba son cursus académique⁹. Étant Lévite, d’une famille sacerdotale, il devait d’abord suivre une longue formation, qui s’étendait sur 20 ans. Cette formation débutait dès l’âge de 5 ans et s’achevait à 25 ans, l’âge d’entrer en fonction¹⁰. Cette pratique sera reprise par le judaïsme¹¹: A cinq ans est atteint l’âge requis pour étudier l’Écriture ; à 10 ans, pour étudier la michna ; à treize ans, pour accomplir les commandements ; à quinze, pour étudier le Talmud ; à dix-huit, pour se marier ; à vingt, pour chercher des moyens d’existence ; à trente, pour comprendre ; à cinquante, pour donner des conseils ; à soixante ans on arrive à la vieillesse ; à quatre-vingts on prouve qu’on a été doué¹². 

Les saintes Écritures et le judaïsme pointent dans cette citation le parcours académique des Israélites. A treize ans, le jeune juif accomplit sa Bar Mitzvah¹³.

Jérémie était dûment équipé pour accomplir sa mission auprès des rois, particulièrement Sédécias. Ces preuves exégétiques bibliques, juives, historiques ainsi que les données de la Bar Mitzvah, montrent que Jérémie avait sans doute accompli sa Bar Mitzvah. Il avait le droit à la parole en assemblée, lisait déjà la Thora et conduisait des prières. C’est avec raison que l’Éternel lui dit : « Ne dis pas : je suis un enfant. Car tu iras vers tous ceux auprès de qui je t’enverrai, et tu diras tout ce que je t’ordonnerai. » (Jérémie 1:7).

Jérémie avait légalement le droit, malgré son jeune âge de s’adresser aux autorités politiques des nations. Le Seigneur fait des choses extraordinaires mais jamais des choses insensées. Le cerveau de Jérémie était très bien entraîné pour cogiter sur les affaires d’État et proposer des solutions idoines. La Bar Mitzvah d’antan équivaut « au baccalauréat français »¹⁴, à cause des épreuves auxquelles étaient soumis les candidats. Jérémie, est par conséquent un bachelier dès ses treize ans. En admettant qu’il débuta son ministère à l’âge de vingt ans, Jérémie était donc titulaire d’un BAC + 7, lorsque Dieu l’appela et lui confia sa mission. Les propos du fils d’Hilkija : « voici, je ne sais point parler, car je suis un enfant », traduisent, d’une part, son désir de connaissance, sa soif d’exercer son don de rhétoricien. D’autre part, il se dégage également de ses dires, une humilité à laquelle se mêle une certaine timidité, à l’idée de prendre la parole devant ses professeurs dont certains des plus illustres étaient les collaborateurs proches des rois de Juda. Le Seigneur lui répond qu’il était loin d’imaginer le dépôt divin en lui. Et l’informe qu’il avait des compétences dont il ne s’en doutait même pas (vs. 4-5, 7-10). C’est souvent le lot des personnes que le Seigneur apprête pour une mission spéciale. Ces preuves bibliques et extrabibliques attestent que Jérémie était donc apte, même jeune, pour une telle responsabilité. Il est utile de souligner que les sacrificateurs et les lévites étaient des acteurs majeurs de la vie politique nationale chez les Hébreux. 

Son ministère

Jérémie exerça son ministère prophétique à Jérusalem et en Juda à partir de la 13ème année de Josias (640-608 av. J.-C.), le 16ème roi de Juda, célèbre pour ses réformes. La 13ème année de Josias correspond à l’an 627 av. J.-C.77. Jérémie a prophétisé et donné des conseils politiques jusqu’à la prise de Jérusalem pendant la gouvernance de Sédécias, 20ème roi (597-586 av. J.-C.), soit de 627 à 586 av. J.-C. Au vu des Écritures, Jérémie a conseillé au total 5 rois. Son ministère s’étend sur 40 ans, 6 mois et 10 jours. Cela fait environs 41 ans, lorsqu’on y ajoute son ministère au milieu des pauvres épargnés par Nebucadnetsar II après la déportation consécutive à la prise de Jérusalem en 586 av. J.-C. Durant ces 41 ans, Jérémie a donné diverses prophéties touchant à : la praxis de la piété, la société, l’environnement, l’économie, la politique (géopolitique et realpolitik). Ces quatre décennies du ministère de Jérémie sont émaillées de souffrances, de rejet, d’incompréhension, de solitude et d’agressions. Dans ce déferlement de persécutions, le prophète connut de temps à autre quelques éclaircis de bonheur si brefs furent-ils. Ses craintes et ses réticences quant aux réactions de ses frères et membres de la tribu de Lévi se confirmèrent. Ses plus grandes souffrances et adversaires vinrent de la maison de son père : « Car tes frères eux-mêmes et la maison de ton père te trahissent, Ils crient eux-mêmes à pleine voix derrière toi. Ne les crois pas, quand ils te diront des paroles amicales. » (Jérémie 12:6) 

L’ancien gentleman respecté à Anathoth et à Jérusalem, à cause de son père Hilkija, vit ses prophéties rejetées. Honni de ses frères, sans épouse ni enfants, Jérémie fut un homme solitaire, même si quelques amis se déclarèrent en sa faveur¹⁵. 

Conclusion 

Jérémie était un prophète dont la personnalité est construite sur des valeurs fortes et une longue formation académique. Il avait trois décennies d’expérience avant de conseiller Sédécias. Son cursus montre combien le prophète doit être équilibré : sa spiritualité et son intellectualité doivent être excellentes et mâtures. Le prophète est un homme spirituel et intellectuel. Le prophétisme est effectivement une science, celle des mystères élucidés et communiqués aux hommes et leurs dirigeants, pour la bonne gouvernance de la cité. Jérémie remplissait les conditions et sut s’y prendre. Le prophétisme est pragmatique, il est en mouvement, avec des méthodes de communication parfois insolites, cependant porteuses de profonds messages. Le prophète évolue dans l’actualité, avec une vision claire du futur de sa patrie. Conseiller un homme d’État signifie être soi-même dûment équipé à cet effet. Le dilettantisme et le prosaïsme ne sont pas tolérés dans les responsabilités étatiques.

¹ Jérémie 1 :6-10

² Henry Hampton Halley, Halley’s Bible Handbook. Completely revised and expanded edition, 25th edition – Classic edition, Grand Rapids, Michigan, Zondervan, [1924] 2000, p. 395

³ Jérémie 1 : 9-10

⁴ Donald C. Stamps, et J. Wesley Adams, « Introduction au livre de Jérémie », in Donald C. Stamps, La Bible Esprit et Vie, Springfield, Missouri, Life Publishers International, 2011, pp. 1170-1171.

⁵ Précautionnisme (le) : c’est l’application excessivement prudente du principe de précaution ; l’application maximaliste du principe de précaution.

⁶Exode 7 :1 ; 1 Chroniques 6 :3-4,13 ; Jérémie 1 :1

⁷ Genèse 12 :1-2 ;15 :7-21 ;18 :18

⁸ Jérémie 1 :4-19

⁹ Jérémie 1 :4-10

¹⁰ Nombres 8 :24-26

¹¹ Selon le traité Aboth, 5,24,consacré à l’éthique

¹² Abraham Cohen, op.cit.,pp.167-168

¹³ Le mot « Bar » veut dire « fils » et « Mitzvah » signifie « commandement »

¹⁴ Robert Aron, Les années obscures de Jésus, Paris, Grasset, 1960, p.183

¹⁵ Jérémie 16 :2 ;26 :16-19,24

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