Cet article est tiré de l’ouvrage, La Théologie Politique Africaine, où le professeur Félix Mutombo-Mukendi examine la dérive théologique d’une pratique en expansion dans certains milieux chrétiens : l’idée selon laquelle une simple proclamation de foi suffit pour matérialiser des bénédictions. Cette croyance est souvent promue dans les cercles influencés par la théologie de la prospérité, où la rhema theology (théologie de la parole proclamée) occupe une place centrale. Le professeur démontre, à partir d’une exégèse rigoureuse des Écritures, que cette interprétation erronée transforme la foi chrétienne en une quête utilitariste de biens matériels, en déviant les croyants du message spirituel fondamental de la Bible.
Romains 10.8 : Une Parole détournée
Un des passages centraux souvent utilisés pour justifier la rhema theology est Romains 10.8 : « La parole est près de toi, dans ta bouche et dans ton cœur. Or c’est la parole de la foi que nous prêchons. » Dans cette interprétation, ce verset est lu comme une promesse selon laquelle toute parole prononcée par la foi serait automatiquement inspirée et porterait en elle le pouvoir de transformer la réalité.
Le terme grec rhêma, traduit par “parole” dans ce verset, signifie « déclaration » ou « énoncé », sans aucune connotation magique. Paul, dans ce passage, ne fait pas référence à une proclamation miraculeuse pour manipuler le cours des événements, mais à la confession de foi en Jésus-Christ. La « parole de la foi » ici est celle qui sauve, qui justifie le pécheur devant Dieu, et non une clé magique pour obtenir santé, richesse ou succès.
« Il est évident que ces versets sont extraits de leur contexte pour soutenir un évangile du miracle et de la prospérité, tandis que tout le passage parle de la foi qui sauve, la réception de la grâce de Dieu qui justifie le pécheur, la foi en Christ le Sauveur qui s’exprime par la parole de confession », explique Mutombo-Mukendi dans son ouvrage.
L’idée que la parole prononcée puisse d’elle-même produire la réalité désirée détourne ainsi le sens profond du texte biblique. L’Évangile de Paul n’est pas un manuel de réussite matérielle, mais un message de salut et de réconciliation avec Dieu à travers la foi en Christ.
Romains 4.17 : Un passage mal compris
Un autre passage souvent dénaturé par les partisans de la théologie de la prospérité est Romains 4.17 : « (Dieu) appelle les choses qui ne sont point comme si elles étaient. » Ce verset est fréquemment utilisé pour soutenir l’idée que les croyants peuvent, à l’image de Dieu, appeler des réalités à l’existence par la foi.
Cependant, le contexte de ce verset est primordial pour en comprendre le sens véritable. Paul parle ici de la foi d’Abraham, qui croyait à la promesse de Dieu de lui donner une descendance nombreuse malgré son âge avancé et la stérilité de sa femme. Ce texte parle de la puissance de Dieu à accomplir des promesses qui semblent impossibles aux yeux des hommes, pas de la capacité du croyant à créer des réalités nouvelles par des déclarations personnelles.
La foi d’Abraham, loin d’être une foi créatrice ou manipulatrice, est une foi de confiance et de soumission. Les « Sorciers de la prospérité », en sortant ce verset de son contexte, transforment ce message en un appel à exercer un pouvoir personnel, réduisant ainsi la relation avec Dieu à une simple transaction pour obtenir des bénéfices matériels.
Philippiens 4.19 : Dieu et la richesse
Un autre exemple d’un texte souvent détourné est Philippiens 4.19 : « Mon Dieu pourvoira à tous vos besoins selon sa richesse, avec gloire, en Christ-Jésus. » Ce verset est fréquemment cité pour soutenir que Dieu garantit la richesse matérielle à ses enfants.
Cependant, ce passage doit être compris dans son contexte. Paul, dans cette lettre, remercie les Philippiens pour leur générosité et leur soutien matériel durant son ministère. Ce verset ne promet pas la richesse, mais souligne la manière dont Dieu pourvoit aux besoins des croyants à travers sa grâce en Christ. Le « riche » ici n’est pas le croyant, mais Dieu Lui-même, qui accorde Ses dons en fonction de la nécessité et non des désirs matériels du chrétien.
Le professeur Mutombo-Mukendi rappelle que la prospérité promise dans ce verset n’est pas une richesse garantie à tous ceux qui font des proclamations de foi, mais une réponse divine aux besoins réels, souvent en lien avec la générosité et l’obéissance dans la vie chrétienne.
Le danger de la « Parole Magique »
En réduisant la foi chrétienne à une série de proclamations magiques, les partisans de la rhema theology risquent de conduire les croyants à la déception, voire à la perte de leur foi, lorsque les résultats attendus ne se matérialisent pas. Cette approche manipule la relation avec Dieu, la transformant en un outil de satisfaction des désirs personnels, au lieu d’une vie de foi humble et de dépendance envers la volonté souveraine de Dieu.
En conclusion, la véritable prospérité chrétienne n’est pas dans la richesse matérielle, mais dans la transformation spirituelle, le service, la générosité et la communion avec Dieu. La théologie de la prospérité, en sortant les Écritures de leur contexte pour justifier une quête de biens matériels, trahit l’essence même du message de l’Évangile. Le professeur Mutombo-Mukendi invite ainsi les chrétiens à réorienter leur foi vers une compréhension plus profonde et spirituelle des Écritures, basée sur la grâce, la foi et la soumission à la volonté divine.