Cet article constitue un extrait du livre « Du Mirage nationaliste à l’utopie-en-action du messie collectif » paru en 2005. Le Dr. Félix Mutombo-Mukendi livre une analyse très critique de la décadence politique, économique, sociale et morale qui sévit en République démocratique du Congo, notamment sous le régime politique de l’époque.
Le mal subi par le peuple congolais n’a pas de rôle positif, contrairement à ce qu’on retiendrait de la théorie du mal radical chez Kant ¹. La société congolaise n’a pas réussi à transformer le mal commis par ses dominateurs en bien général, en progrès social, en développement technologique, en élévation morale, etc. Le mal subi n’a même pas joué le rôle positif de tremplin pour un retour à Dieu. Car au lieu d’être un retour à Dieu, l’engouement actuel fait de fatalisme anesthésiant et d’esprit de résignation paralysante est plutôt un recours à Dieu en tout point semblable au recours aux fétiches, à la sorcellerie, aux pratiques orientales et magico-occultes de l’élite dominante. Retour à Dieu ne signifie pas recours à Dieu ! Quand ce recours à Dieu se pratique sous l’impulsion des prédicateurs motivés par le concept fallacieux de l’instrumentalisation de la toute-puissance divine, il annihile toute faculté de critique sociopolitique et maintient les fidèles dans la misère ; mais il ouvre aux prêcheurs les portes de l’opulence scandaleuse, de la prospérité à sens unique. Le mal est mal ! Inspirés et entretenus par les voleurs et les meurtriers d’hier et d’aujourd’hui, d’aucuns préfèrent parler de la réconciliation (entre bourreaux et victimes) et du pardon (des victimes à l’endroit des prédateurs et assassins) en prétendant qu’il s’agirait de valeurs chrétiennes. Mais il s’agit d’une notion fallacieuse fabriquée dans l’atelier de la christianisation superficielle de la culture et de la politique congolaises au profit du mal (à éradiquer) et du malfaisant (à sanctionner). Car dans la prédication de Jean le Baptiste (le Précurseur du Messie), Joshua de Nazareth (le Messie) et de Simon alias Céphas (l’Envoyé du Messie), la metanoia (repentance, conversion) est incontournable et non négociable comme préalable au pardon et à la réconciliation²! La pratique de l’impunité (au nom de Christ ou en vertu d’une loi humaine scélérate au profit des dieux prédateurs et scélérats) est toujours le choix délibéré du mal. Un choix en connaissance de cause ! Le mal infligé à la flore et la faune congolaises se répercute sur la biosphère, l’atmosphère, la lithosphère et l’hydrosphère, héritages de l’humanité tout entière ! Plus qu’un génocide, le mal absolu contre l’homme congolais et contre son héritage (la nature) devient humanicide, pour utiliser le langage du philosophe Michel Lacroix³.
En choisissant le bien pour tous, le bien ici et maintenant, donc le bien pour demain, l’utopie-en-action du Messie collectif doit être perçu comme l’exécuteur historique et conscient de la transformation de l’ignominie présente en bien pour demain. Dans les ténèbres socio-politiques, l’utopie-en-action apporte lumière et vision. Elle rend saisissable l’opportunité du choix existentiel : celui de rejeter le mal par l’engagement effectif dans le combat vital d’imposer le bien. La possibilité de choisir est un acquis de tout être humain. Au Congo, cet acquis de l’humanité a été confisqué par les partisans du pouvoir absolu, pouvoir par la force, pouvoir pour plus de pouvoir. Sa confiscation diminue l’homme. Elle constitue le début de la « chosification » de l’homme. En empêchant de choisir, ils lui imposent leur choix délibéré du mal : totalitarisme et exploitation, viol de la personne humaine et vol de ses ressources ainsi que le cortège des malheurs qui en résultent.
L’utopie-en-action du Messie collectif se doit de choisir le bien pour tous. Ce que nous préconisons pour le Messie collectif congolais, c’est l’anti-attentisme sociopolitique qui exige que le peuple se prenne en charge, réclame l’instauration de la justice sociale, la restauration de la dignité humaine au risque de s’opposer aux idéologies des dominateurs. Le rejet de l’exploitation et de la domination, d’une part, et l’instauration d’un réel Etat de droit dans lequel tous sont redevables devant la Loi, d’autre part, permettront que les richesses du Congo soient mises au service des Congolais.
Que le peuple Congolais comprenne et prenne la responsabilité de devenir son propre messie !
¹ Notre notion du « mal radical » n’est pas une reprise de la théorie kantienne du même nom. En effet, Kant explique sa théorie par le concept indissociable sociabilité de l’homme, celui-ci étant tout à la fois sociable et asocial. Ce dernier trait se manifeste par les mauvais penchants de l’homme qui rendent la vie en société difficile. Mais la théorie du mal radical de Kant conclut que les travers et les mesquineries de l’homme constituent une source des bienfaits incontestables. Par son côté positif, le mal devient une sorte de moteur du progrès au moyen d’une action continue de la société.
² Selon le début des Évangiles qui résument la prédication de Jean et celle de Jésus et selon le début des Actes des Apôtres qui montre Pierre amener 3000 personnes à la conversion, la repentance est tout ce que Dieu attend de l’homme coupable (Matt 3.1-2,17 ; Marc 1.4-5, 14-15 ; Luc 3.3, 7-14 ; Actes 2 .37,38).
³ Lacroix, M. : L’humanicide. Pour un monde planétaire. (Paris : Plon, 1994)