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Mouvement Mau-Mau au Kenya : Quand la foi chrétienne nourrit la résistance anticoloniale

Le mouvement Mau-Mau, actif principalement entre 1952 et 1960, est souvent perçu comme une révolte violente des Kikuyus contre la domination coloniale britannique au Kenya. Cependant, une dimension cruciale souvent négligée est l’influence des missions chrétiennes sur les nationalistes kényans. Cet article est le premier de notre série « Histoire et Théologie ». Il explore comment les idéaux chrétiens ont façonné la résistance Mau-Mau, en soulignant les motivations religieuses qui ont influencé les nationalistes à adopter des moyens violents pour lutter contre l’oppression coloniale.

Contexte historique : Les Mau-Mau et la colonisation britannique

Le mouvement Mau-Mau a émergé dans un contexte de frustration croissante parmi les Kikuyus, l’un des plus grands groupes ethniques du Kenya. Ils ont été particulièrement touchés par la dépossession des terres et les réformes économiques imposées par les Britanniques. Ces réformes ont entraîné la confiscation de vastes terres fertiles au profit des colons européens, forçant les Kikuyus à vivre dans des réserves surpeuplées et infertiles, aggravant ainsi la pauvreté et le ressentiment envers le régime colonial.

L’insurrection, qui a débuté dans les années 1940, a culminé avec le soulèvement Mau-Mau en 1952. Le gouvernement colonial a réagi avec une violence extrême, imposant des camps de concentration et utilisant des méthodes de torture pour réprimer la rébellion . Au total, on estime qu’environ 11 000 insurgés Mau-Mau ont été tués, en plus des civils, y compris des Kikuyus perçus comme collaborateurs.

Les Missions Chrétiennes : Un double tranchant

Les missions chrétiennes, établies par des missionnaires protestants et catholiques, ont joué un rôle ambivalent. D’une part, elles ont fourni une éducation formelle aux populations locales, inculquant des valeurs chrétiennes telles que la justice, l’égalité et la liberté . Ces idéaux bibliques ont résonné avec les Kikuyus qui ont vu dans les enseignements chrétiens une justification pour résister à l’oppression coloniale. En effet, plusieurs leaders kényans formés dans des écoles missionnaires, comme Jomo Kenyatta, ont utilisé cette éducation pour élaborer des stratégies de résistance contre l’autorité coloniale.

Cependant, la relation entre les missions chrétiennes et le pouvoir colonial était ambiguë. D’un côté, les missionnaires prêchaient la soumission aux autorités, tout en collaborant à la gestion des institutions éducatives et de santé financées par les Britanniques . Cette collaboration a créé une fracture au sein des nationalistes kényans, qui voyaient les missions chrétiennes comme complices de l’exploitation coloniale. Pour certains insurgés Mau-Mau, il était crucial non seulement de se libérer de l’oppression coloniale, mais aussi de rejeter l’influence des missions chrétiennes perçues comme agents de l’autorité coloniale.

La Théologie de la Libération avant l’heure

Le lien entre foi chrétienne et engagement politique violent dans le contexte du mouvement Mau-Mau est particulièrement illustré par des leaders comme Dedan Kimathi, figure emblématique de la rébellion. Kimathi, qui était profondément religieux, voyait dans la lutte armée contre les Britanniques une mission divine pour libérer le peuple kikuyu de l’oppression . Sa vision de la résistance était inspirée de récits bibliques tels que l’Exode, où Moïse conduit les Hébreux hors de l’esclavage en Égypte. Kimathi croyait que, tout comme Moïse, il était investi d’une mission sacrée pour libérer son peuple.

Cette interprétation théologique trouve ses racines dans la notion de guerre juste, un concept développé par des théologiens chrétiens comme Saint Augustin et Saint Thomas d’Aquin. La guerre juste stipule que la violence peut être moralement acceptable lorsqu’elle vise à renverser une autorité injuste. Kimathi et d’autres leaders Mau-Mau ont donc utilisé cet argument théologique pour justifier la prise des armes contre le régime colonial britannique. Selon certains rapports historiques, Kimathi croyait que la lutte armée était non seulement une nécessité politique, mais aussi une exigence spirituelle, une guerre sainte pour la justice divine.

Les Ambiguïtés des Missions Chrétiennes

Face à l’escalade de la violence, les missions chrétiennes se trouvaient dans une position délicate. Si certaines ont tenté de dissuader les Kikuyus de rejoindre les Mau-Mau en prêchant la soumission et la non-violence, d’autres ont adopté une position plus ambivalente. Par exemple, certains missionnaires, tout en désapprouvant les méthodes violentes, ont plaidé pour des réformes modérées auprès des autorités coloniales, reconnaissant la légitimité des griefs des Kikuyus.

En dépit de ces ambiguïtés, les missions chrétiennes ont contribué à la formation d’une conscience nationale au Kenya. Les écoles missionnaires ont produit une génération de leaders africains éduqués qui ont joué un rôle clé dans la lutte pour l’indépendance. Bien que formés dans un cadre chrétien, ces leaders ont parfois trouvé dans les Écritures une justification à la résistance violente contre l’autorité coloniale. Pour certains, la théologie de la libération, bien que formalisée plus tard en Amérique latine, était déjà présente dans les interprétations bibliques des leaders Mau-Mau, qui percevaient la violence comme un moyen légitime de lutter contre l’injustice systémique.

Conclusion

Le mouvement Mau-Mau et les missions chrétiennes au Kenya entre 1952 et 1960 illustrent une relation complexe entre foi et résistance politique. Bien que les missions aient souvent été perçues comme alliées de l’ordre colonial, les idéaux chrétiens qu’elles ont inculqués ont paradoxalement nourri la révolte contre cet ordre. La théologie de la libération a trouvé une expression précoce dans la lutte des Mau-Mau, où la prise des armes était perçue comme une réponse légitime à l’injustice, profondément ancrée dans la foi chrétienne des insurgés.

Références

Anderson, David M. Histories of the Hanged: The Dirty War in Kenya and the End of Empire. W.W. Norton & Company, 2005.

Elkins, Caroline. Imperial Reckoning: The Untold Story of Britain’s Gulag in Kenya. Henry Holt and Company, 2005.

Berman, Bruce J. Control & Crisis in Colonial Kenya: The Dialectic of Domination. James Currey, 1990.

Lonsdale, John. “Moral Ethnicity and Political Tribalism.” In The Creation of Tribalism in Southern Africa, edited by Leroy Vail, University of California Press, 1989.

Branch, Daniel. Kenya: Between Hope and Despair, 1963-2011. Yale University Press, 2011.

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