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Le soulèvement de Chilembwe

En janvier 1915, dans une province du Nyassaland, le Malawi actuel, eut lieu une rébellion éclair contre la domination coloniale, décrite comme le soulèvement de Chilembwe. Son combat pour l’égalité raciale et son soulèvement contre le pouvoir colonial, bien que rapidement étouffé, ont fait du pasteur baptiste John Chilembwe une figure emblématique du panafricanisme et de l’histoire de la théologie politique africaine digne d’intérêt.

John Nkologo Chilembwe est originaire du district de Chiradzulu, au sud de ce qui était à l’époque le protectorat du Nyassaland et qui est aujourd’hui le Malawi. Il serait né en 1871. Il fréquente l’école des missionnaires de l’Église d’Écosse, c’est-à-dire de l’Église Presbytérienne, et à la fin de ses études il est embauché comme employé de maison par Joseph Booth, un pasteur baptiste anglais fondateur de la Zambezi Industrial mission. Contrairement aux autres missionnaires anglais, ce révérend se montre très critique envers les institutions coloniales établies, tant au niveau politique que religieux. Il déplore et dénonce le style de vie aisé des missionnaires protestants face à la situation déplorable des paysans locaux. Il prône dans ses enseignements la libération spirituelle, sociale et économique des Africains. Il va même jusqu’à publier un pamphlet intitulé « l’Afrique pour les Africains ». Le jeune John Chilembwe s’imprègne alors de ses enseignements et prend part à ses campagnes d’évangélisation.

En 1897, le Révérend Booth et Chilembwe se rendent aux Etats-Unis afin d’obtenir le soutien financier d’Afro-américains pour la mission de Booth au Nyassaland. Grâce à des Baptises Afro-américains, Chilembwe étudie la théologie au Virginia Theological Seminary de Lynchburg en Virginie. Il est ordonné pasteur en 1899. Durant son séjour aux États-Unis, il se familiarise aux idées militantes relatives à la discrimination raciale, au mouvement pour l’abolition de l’esclavage et la liberté des “peuples de couleur”.

Chilembwe retourne au Nyassaland en 1900 dans le district de Chiradzulu pour y fonder sa propre mission à l’exemple de son ancien mentor Booth. Il crée la Providence Industrial Mission. L’une des activités prioritaires qu’entreprend Chilembwe au travers de sa mission est l’éducation des Africains. Dans un article du 8 décembre 1900, publié par le Central African Times, Chilembwe exprime son désir de donner aux enfants d’Afrique une bonne formation. Selon lui, l’éducation industrielle et agricole était aussi indispensable que l’éducation spirituelle. Chilembwe veut étendre son projet en ouvrant des écoles de brousse sur le territoire de la mission, mais aussi en dehors. Il parvient même avec ses fidèles à achever la construction d’une grande église qui sera surnommée la « Nouvelle Jérusalem ». On prétend que Chilembwe est influencé par les mouvements millénaristes notamment le mouvement de la Tour de garde et par l’éthiopianisme des Églises africaines. Cependant, son enseignement était surtout centré sur l’Évangile, l’émancipation par le travail, et l’égalité des races.

Les initiatives de sa mission provoquent de vifs conflits avec les trois pouvoirs qui comptaient à l’époque : les Missions européennes (Presbytériennes, Anglicanes et Catholiques), les propriétaires terriens européens, et enfin les représentants officiels du gouvernement colonial. Ces différents pouvoirs voient d’un mauvais œil l’influence grandissante d’un pasteur africain qu’ils ne contrôlent pas. Les grands propriétaires ne peuvent accepter que des Africains, considérés comme une main d’œuvre servile, soient éduqués et de surcroît, par un Africain qu’ils soupçonnent d’avoir des idées subversives. Mais Chilembwe leur résiste car il ne supporte plus le traitement et le mépris des Européens. Il s’oppose à cette domination coloniale sur plusieurs points :

  • La question de la terre: Beaucoup de paysans africains avaient perdu leur terre, au profit des Européens. Les paysans refusant de se soumettre au nouvel ordre étaient alors chassés par la force.
  • La question de l’impôt: Les autorités coloniales britanniques avaient introduit un système d’impôt arbitraire. Ceux qui ne peuvent payer l’impôt sont contraints de travailler gratuitement pendant 3 mois sur une grande plantation européenne.
  • La question de la rivalité avec les autres Missions religieuses: Tant Protestants que Catholiques s’indignent des activités de la Providence Industrial Mission et s’opposent à toute ouverture d’écoles par cette dernière près de leurs missions. Après de multiples plaintes, ils obtiennent des autorités que Chilembwe cesse de construire de nouvelles écoles et églises.

Le déclenchement de la Première Guerre mondiale va davantage exacerber les tensions et amener Chilembwe à être de plus en plus radical. Le Royaume-Uni entre en guerre contre l’Allemagne en 1914. Les deux puissances comptent de très nombreux soldats africains dans leurs rangs. Nombre d’entre eux sont tués tout au long de la Grande Guerre. John Chilembwe fulmine face à ces pertes de vies africaines dans un conflit qui, selon lui, ne concerne que les Européens. Il envoie une lettre au Nyassaland Times intitulée « La voix des indigènes africains dans la guerre actuelle ». Dans cette lettre, il dénonce le fait que les Africains n’ont pas à être impliqués dans cette guerre : «… que les hommes riches, les banquiers, les titrés, les commerçants, les fermiers et les propriétaires terriens partent en guerre et se fassent fusiller. Au lieu de cela, les pauvres Africains qui n’ont rien à posséder dans ce monde actuel, qui ne laissent qu’une longue lignée de veuves et d’orphelins dans un besoin absolu et une détresse extrême, sont invités à mourir pour une cause qui n’est pas la leur ». Après cela, Chilembwe devient une réelle menace pour les autorités coloniales qui cherchent à le neutraliser. Certaines de ses églises sont brûlées. Le pasteur baptiste pacifiste qui voulait réformer un système injuste, cède peu à peu la place à un homme révolté, aigri, endetté et à la santé déclinante. En janvier 1915, il organise avec ses partisans un soulèvement en réponse aux menaces qui pèsent sur eux. Mais leur révolte est très vite maîtrisée et réprimée avec violence. La plupart des partisans de Chilembwe sont exécutés après un procès sommaire. Chilembwe lui-même aurait été abattu alors qu’il tentait de s’enfuir au Mozambique.

Sur base des récits de ce soulèvement, force est de constater que la relation entre la pensée chrétienne et la conscience politique africaine de Chilembwe constitue un champ d’étude encore à exploiter. Les chercheurs qui se sont penchés sur l’aspect religieux et politique de cette rébellion ont soulevé les questions suivantes : Le soulèvement de Chilembwe était-il un mouvement millénariste, avec l’évangéliste comme de figure prophétique ? Ou était-ce une forme embryonnaire de nationalisme, Chilembwe étant ainsi un patriote précoce ? : Du point de vue religieux, il est probable que Chilembwe ait été familier aux enseignements millénaristes du mouvement de la Tour de garde. Et bien qu’il ait été en contact avec, entre autres, le dirigeant du mouvement Elliot Kenan Kamwana, plusieurs chercheurs réfutent la thèse que Chilembwe ait jamais adhéré au mouvement. Il n’était pas un prophète ou une figure de messie et ses enseignements n’ont jamais dévié de ceux d’un missionnaire baptiste. Du point de vue politique, le nationalisme de son action est sujet à débat, d’autant plus que l’appel de ralliement “l’Afrique aux Africains” (qu’il reprendra de son ancien mentor Booth) implique une idéologie panafricaine. Comme plusieurs chercheurs l’ont suggéré, la rébellion de Chilembwe était une réponse à l’oppression coloniale et à un profond sentiment d’injustice raciale. Bien qu’elle ait pu avoir un élément d’« utopisme chrétien », la rébellion était essentiellement une « lutte pour la liberté » et pour l’indépendance africaine. L’idéologie politique de Chilembwe a été influencée par deux courants : l’égalitarisme racial du révérend Joseph Booth et une orientation capitaliste venant davantage des Baptistes noirs américains, avec un accent mis sur la propriété foncière privée, l’emploi de main-d’œuvre salariée, les entreprises commerciales et l’agriculture commerciale.

C’est en 1964 que le Nyassaland obtient son indépendance pour devenir l’actuel Malawi. Le pays honore celui qui est considéré comme un héros national, un martyr de la lutte contre le colonialisme, par une journée nationale en sa mémoire commémoré le 15 janvier. Son portrait est aussi repris sur des billets de banque malawiens. John Chilembwe était incontestablement un précurseur, dont les idées et positions sont toujours sources d’inspiration dans son pays mais à travers tout le continent africain.

Références

Linden I., Linden J, John Chilembwe and the New Jerusalem, published by Journal of African History Vol 12, 4, pp. 629-651 (1971)

Morris B., The Chilembwe Rebellion, published by The Society of Malawi Journal, Vol 68, n°1, pp.20-52 (2015)

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