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Aperçu historique des perspectives théologiques des relations Eglise-Etat

La question de savoir si l’Eglise chrétienne devrait ou non se rallier aux autorités politiques a toujours fait débat à travers l’histoire. Les défis des relations Eglise/Etat ont surgi dès que l’Église a été établie et persécutée par les autorités politiques romaines de l’époque.

A l’heure actuelle, le cadre des relations Eglise/Etat interpelle sur toute une série de points. Selon le pays concerné, les questions suivantes surgissent : le gouvernement accorde-t-il la liberté religieuse à l’Eglise? Le gouvernement accepte-t-il le pluralisme religieux dans la population? Le gouvernement essaye-t-il d’instituer une religion d’Etat ? Le gouvernement est-il disposé à coopérer avec des groupes religieux concernant des objectifs communs ? Le gouvernement respecte-t-il les objecteurs de conscience chrétiens et autres ?

La compréhension chrétienne de ce qui constitue les relations Eglise-Etat a beaucoup évolué au fil du temps. Dans l’ouvrage Politique soumise à Dieu¹ de John.H. Redekop² retrace l’historique des perspectives des principaux courants théologiques et des rapports Eglise/Etat. Cet article constitue une synthèse générale de la présentation de Redekop sur ces perspectives.

Perspective de l’Eglise catholique romaine

La tradition dominante Eglise-Etat depuis le 4ème siècle après J.C est la tradition catholique. En 313 après J.C, Eusèbe de Césarée théoricien de la “théologie politique de l’empire chrétien”, met en avant que l’unification de l’empire sous l’Empereur Constantin permet l’unification religieuse. En tant qu’unificateur de l’empire, ce dernier devient le serviteur de Dieu à l’instar de Christ. De cette conception découle une théologie politique de sacralisation de l’institution impériale et de son titulaire. C’est ainsi que l’“Empereur chrétien” Constantin se met à promulguer des lois d’inspiration chrétienne. Il convoque, organise et préside les conciles traitant des affaires religieuses et légifère en tant que guide vers la foi et le salut. En 383, le christianisme est déclaré religion d’Etat par l’empereur Théodose Ier. Pendant les siècles qui suivent, l’Eglise catholique profite de sa position dominante. En association avec le pouvoir politique, elle supprime progressivement toutes les sectes qui lui sont opposées et instaure des directives pour la vie quotidienne de tous les citoyens. Elle continue de dominer en Europe pendant le Moyen-Âge à un point tel que la majorité des autorités politiques lui sont subordonnées.

Au cœur de la vie traditionnelle catholique, les autorités ecclésiastiques possèdent une autorité morale supérieure aux institutions politiques. Aujourd’hui, d’un point de vue international, l’Eglise catholique a perdu de sa toute-puissance bien que dans certaines régions comme en Amérique latine, elle exerce toujours une forte influence sur plusieurs processus gouvernementaux. Finalement, elle ne jouit d’une autorité absolue qu’au Vatican. Pour certains académiciens, en passant l’histoire en revue, la relation idéale Eglise-Etat selon la perspective catholique serait attestée par la conviction que l’Église devrait-être supérieure à l’Etat parce que celle-ci aurait une autorité morale supérieure. Si cette supposition morale est valide, l’Eglise devrait-elle recevoir le droit de prendre des décisions politiques ou de traiter les autorités politiques comme inférieures à elle ? l’Église devrait-elle posséder le droit de définir les normes morales pour toute la société ou les limites de la liberté et la restriction religieuse ? A l’heure actuelle, la position de l’Eglise a bien évolué. Elle n’essaie pas d’imposer directement sa volonté sur les autorités politiques et soutient la liberté religieuse.

Perspective luthérienne

Le thème central de Martin Luther concernant les relations Eglise-Etat était que Dieu exerce la souveraineté divine sur tout aspect de l’existence humaine, y compris l’ordre politique. Pour réaliser sa volonté sur la terre, Dieu emploie des chrétiens et des non-chrétiens et Il le fait en travaillant à travers les deux royaumes. Luther rappelle que Jésus lui-même a évoqué le royaume de Dieu et le royaume de ce monde et que tous les deux étaient soumis à l’autorité de Dieu. Et donc, les chrétiens appartiennent au royaume de Dieu et les non-chrétiens au royaume du monde. Tout en essayant de définir les deux royaumes en tant qu’entités séparées, il reconnaît que dans la pratique, le fonctionnement du royaume du monde inclut chrétiens et non-chrétiens. Luther affirme aussi que dans sa sagesse Dieu a établi deux organisations, l’Eglise et l’Etat, par lesquelles Il gouverne les deux royaumes. L’Etat compte sur la loi et l’épée pour maintenir la paix, restreindre le péché et favoriser les droits civiques. L’Eglise compte sur les Écritures pour annoncer la Bonne Nouvelle, aider à accéder à la vie éternelle, et faciliter la croissance du discipolat chrétien. Chaque régime peut aider l’autre. L’Etat met en place les conditions pour que l’Eglise puisse effectuer son travail, et celle-ci aide l’Etat en incitant les citoyens à être pieux, à payer leurs impôts et à honorer les gouvernements. Les deux régimes promeuvent la volonté de Dieu et le chrétien est donc appelé à servir les deux. Mais dans son analyse, Luther se heurte à un problème fondamental. Il insiste sur le fait que l’éthique de Jésus s’applique à tous les chrétiens mais il consent que les gouvernements du monde doivent compter sur l’épée, ce qui n’est pas autorisé dans l’Eglise du Christ. Il essaie de résoudre ce dilemme en soutenant que lorsque les chrétiens servent dans le régime du monde, ils seraient même autorisés à tuer « dans un esprit d’amour »! Ainsi les citoyens chrétiens pourraient tuer afin de préserver l’État politique. En s’appuyant sur cette conception particulière de l’amour chrétien en action, Luther suggère que Dieu utilise l’État pour combattre le mal et donc le service d’un chrétien dans les forces militaires est considéré comme un service divin rendu à Dieu. Un tel service rendu pour le bien commun et non pour soi-même est vu comme un acte d’amour pour son prochain. Luther admet cependant que sa conception des actions militaires des chrétiens allait à l’encontre du Sermon sur la Montagne de Jésus³. Mais il justifie que la fonction a sa propre norme morale, sa propre éthique et qu’autrement ce qui serait considéré comme mauvais devient bon en raison de la fonction qu’on occupe. Néanmoins, Luther affirme également que quand un dirigeant mène une guerre « injuste », les citoyens chrétiens ne devraient pas s’engager. Cela n’a pas été sans créer une confusion parmi les chrétiens à l’époque.

La perspective luthérienne des relations Eglise-Etat présente certaines faiblesses, notamment du point de vue éthique. Sa distinction entre les royaumes « spirituel » et « temporel » semble relativement simpliste. L’Eglise a aussi une dimension temporelle et une puissance dont elle peut abuser. Il suppose aussi que des actes dits non-chrétiens peuvent devenir chrétiens selon le motif, particulièrement dans la fonction politique. Il peine à présenter des justifications bibliques pour son approche. Aussi se pose la question de savoir si un chrétien a la capacité d’affirmer quelle guerre est juste ou pas ? La notion de « guerre juste » évoquée par Luther, bien que soutenue encore à l’heure actuelle, fait incontestablement débat. En somme, les perspectives classiques luthériennes sont tout de même devenues dominantes parmi certaines dénominations traditionnelles et évangéliques d’aujourd’hui. Cependant, selon Redekop au vu des insuffisances évoquées, elles ne constituent pas une explication cohérente et bibliquement fondée, ni un plan d’action pour les citoyens chrétiens.

Perspective calviniste

Cette perspective est assez similaire à la perspective luthérienne, mais comportent néanmoins des différences significatives. Tandis que Luther souligne la séparation des deux régimes, Calvin considère toute société comme un ensemble beaucoup plus unifié, un corps chrétien inclusif. Calvin attribue à l’Etat le rôle d’aider les chrétiens à vivre une vie chrétienne, il lui confère une mission de salut christologique. A cet égard, Calvin se réfère encore à un catholicisme plus médiéval. “Dans la providence de Dieu le gouvernement civil est conçu, aussi longtemps que nous vivons dans ce monde, pour entretenir et soutenir l’adoration de Dieu, pour préserver la doctrine authentique de la religion, pour défendre la constitution de l’Eglise…» ⁴. En 1536, Calvin se penche sur l’établissement d’un tel système politique dans la ville de Genève. L’Eglise de Genève jouit à l’époque d’une grande liberté, tant sur les sujets doctrinaux mais aussi en infligeant des punitions ecclésiastiques relativement sévères. L’Eglise comprend que l’Etat l’aidera à accomplir sa mission, et avec le temps la distinction fonctionnelle entre l’Eglise et le gouvernement de la ville de Genève deviendrait inexistante. Dans le système réformé de Calvin assimilable à une théocratie, le Conseil Municipal de Genève était appelé à combattre l’idolâtrie, le blasphème et le sacrilège.

Concernant l’activité politique des chrétiens, Calvin rejoint Luther quant à la distinction morale entre la fonction et la personne. Il argumente que même si les autorités pratiquent un règne brutal, les sujets ne devaient pas se soulever ni se révolter mais plutôt reconnaître que Dieu utilise ces autorités cruelles pour punir des péchés. Calvin obscurcit ainsi la distinction entre péché et crime. Cependant, il est à constater le manque de références bibliques pour supposer que Dieu s’attend à ce que le gouvernement pratique le discipolat chrétien.

Les calvinistes d’aujourd’hui n’essaient plus d’influer sur les autorités politiques pour qu’elles infligent des punitions religieuses ou qu’elles s’engagent à une participation directe dans l’Eglise. Ils se préoccupent plutôt du fait que les gouvernements agissent de la manière la plus juste possible et décrètent des lois avec des principes de base chrétiens.

Perspective anabaptise

Dans leur désir de s’approprier les enseignements-clés de l’Église du Nouveau Testament, les premiers anabaptistes ont formulé une série de propositions théologiques qui établissent le fondement de leur vision de la vie, de la société, y compris les relations Eglise-Etat. Les enseignements élaborés dans le Nouveau Testament, et particulièrement dans le Sermon sur la Montagne, sont valables pour tous les chrétiens dans tous les domaines de la vie. L’acceptation de cette éthique est inconditionnelle et elle prévaut sur tout autre considération. Les anabaptistes rejette donc l’idée du chrétien devant s’appliquer à deux éthiques différentes comme Luther et Calvin l’ont enseigné. Si les exigences d’un rôle ou d’une vocation particulière obligent le chrétien à une autre éthique, cela signifie qu’il ne devrait pas poursuivre cette vocation. Comment pourrait-on se déclarer être chrétien pendant qu’on commet des actes à l’encontre de l’exemple de Christ et justifier un tel comportement pour des raisons de fonction politique ? Cette question est toujours pertinente aujourd’hui pour les chrétiens qui soutiennent le dualisme de l’éthique luthérienne. Dans leur compréhension anabaptiste du Nouveau Testament, les affirmations de Jésus ont priorité sur n’importe quelle injonction de dirigeant politique de se battre pour la défense du pays. Ce qui appuyait également leur raisonnement est que les armes dans le royaume du monde sont charnelles et « contre la chair seulement », alors que les armes chrétiennes sont spirituelles ⁶. A l’époque, le pacifisme anabaptiste est rejeté avec virulence par Luther et Calvin jusqu’à entraîner des persécutions sanglantes à l’encontre des anabaptistes.

En conclusion, l’Eglise et la société non-chrétienne sont éthiquement deux entités séparées. La société, à travers le gouvernement, a certaines exigences légitimes sur les chrétiens puisqu’ils sont aussi des citoyens mais toutes ces exigences du gouvernement sont secondaires et doivent-être rejetées si elles entrent en conflit avec l’éthique chrétienne. Avec une telle position, les premiers anabaptistes deviennent les premiers défenseurs de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, mais aussi de la liberté religieuse. Ils revendiquaient cette liberté non seulement pour eux-mêmes mais aussi pour tout le peuple. L’État, établi par Dieu, existe pour servir l’humanité au niveau de la loi et de l’ordre mais l’amour ne fait pas partie de son éthique. Et donc, selon eux, les chrétiens ne devraient pas occuper des fonctions politiques. Beaucoup de théologiens ont félicité ces réformateurs pour leur biblicisme, leur consistance. Leur position est pertinemment décrite comme « une vie chrétienne sans compromis », et leur insistance sur la doctrine de paix est aussi saluée. Mais des critiques s’élèvent également contre cette perspective anabaptiste. Notamment sur le fait qu’il est illusoire de croire que les chrétiens puissent fonctionner en dehors de l’ordre politique. Il leur est aussi reproché de ne prêter que relativement peu d’intérêt pour les souffrances sociales touchant les non-chrétiens. Ces positions anabaptistes constituent le point de vue primitif des relations Eglise-Etat de la fin de l’époque médiévale. Aujourd’hui ces positions ont évolué. S’impliquer en politique est encouragé et considéré comme une opportunité de servir le bien commun, son prochain, tant que cela se fait dans les limites permises par le discipolat chrétien. Pour Redekop, les héritiers de cette tradition font aujourd’hui face au défi de soit retenir ce qui est vraiment biblique, ou soit de faire des modifications là où elles sont justifiées.

¹ Politique soumise à Dieu, (Kinshasa, Editions Mukanda, 2007) est la traduction française du livre Politics under God, Scottsdale, Pennsylvania, USA et Waterloo, Ontario, Canada.

² John H. Redekop est l’un des rares leaders ecclésiastiques contemporains à avoir excellé en Sciences politiques dont il est détenteur d’un doctorat. Il a enseigné cette matière dans les Universités canadiennes de Wilfrid Laurier et Trinity Western. Auteur de plusieurs ouvrages et articles, Redekop a aussi occupé des fonctions civiles notamment dans la ville d’Abbotsford en Colombie britannique (Canada). De 1983 à 1987, il a été le modérateur national de la Conférence des Eglises Mennonites. (Mutombo-Mukendi F., Théologie politique africaine, p. 160)

³ Matthieu 5.1-7.29

⁴ John Calvin, Institutes, IV,20, ii

⁵ L’anabaptisme est le nom donné à un ensemble de courants chrétiens apparus au début du 16ème siècle, issus de la Réforme radicale et apparus simultanément à différents endroits de Suisse, des Pays-Bas et du Saint-Empire germanique ; Ces courant mettent l’accent sur la communauté des convertis et le baptême des croyants adultes après leur profession de foi, se distinguant ainsi de la Réforme luthérienne et calviniste par le refus du baptême des enfants, qu’ils ne reconnaissent pas. Leur proposition d’être à nouveau baptisés adulte à ceux qui avaient été baptisés enfants par d’autres confessions, leur vaut le sobriquet d’ «anabaptise », c’est-à-dire « rebaptiseur”. Les principaux groupes anabaptistes historiques sont les huttérites, les mennonites et les « Frères Suisses ». (Wikipédia)

⁶ Ephésiens 6 :13-18

Redekop John H., Politics under God, (Herald Press, 2007)

Mutombo-Mukendi F., La Théologie politique africaine, Exégèse et Histoire, (Paris, L’Harmattan, 2011)

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